Si plus d'un psychiatre appelé à commenter l'affaire Turcotte dans les médias l'a rappelé avec justesse, on est en droit de se demander si la présence d'une contradiction impossible dans toute cette affaire a été assez soulevée.

Pour qui est familier du diagnostic de trouble d'adaptation, de la classification des troubles mentaux (le Diagnostic Statistical Manual ou DSM) dont il est issu et des réalités d'une pratique médicale et psychiatrique, l'affaire Turcotte est particulièrement troublante pour un autre motif que ceux qui viennent immédiatement à l'esprit dans ce drame.

Sur papier, la non-responsabilité criminelle pour cause de trouble mental ne fait pas de sens. Le diagnostic de trouble d'adaptation, celui retenu par une évaluation médicale et par un procès, n'est pas un trouble mental. Il est probable qu'une grande majorité de psychiatres cliniciens (pour les distinguer des psychiatres-experts) soit d'accord avec cette affirmation.

En effet, le trouble d'adaptation peut difficilement être considéré comme un trouble mental, au-delà de toute définition qu'on peut donner au trouble mental, sans risquer de «psychiatriser» la première détresse psychologique rencontrée.

Selon la définition que donne le DSM, le trouble d'adaptation représente essentiellement une détresse psychologique significative secondaire à un ou plusieurs stresseurs s'exprimant sur un mode anxiodépressif ou comportemental problématique.

Cette détresse ne peut pas être qualifiée de «psychiatrique», si par ce terme on entend un phénoménologie psychopathologique sévère, dans la mesure où la présence de signes et symptômes psychotiques par exemple exclut d'emblée ce diagnostic.

Le surmenage professionnel, la perte d'emploi, la peine d'amour et la séparation conjugale sont les principaux motifs de consultation médicale qui entraînent un tel diagnostic bien qu'on retrouve souvent une accumulation de stresseurs au long cours.

D'une prévalence clinique élevée, le trouble d'adaptation peut être associé à une «dépression mineure» puisqu'il est le diagnostic différentiel immédiat d'une dépression majeure tel que définie par le même DSM (la définition «officielle» d'une dépression).

Bien qu'il se fasse plutôt «silencieux» dans un espace public aux côtés d'un épuisement professionnel (ou burn-out) fortement médiatisé, le trouble d'adaptation est à toutes fins pratiques son équivalent diagnostique et clinique formel.

Autrement dit, aux yeux d'un regard médical en clinique contemporaine, ces «dépressions» et «anxiété» qu'on dira «ordinaires» ou «banales» sont celles du diagnostic de trouble d'adaptation.

Les personnes qui reçoivent ce diagnostic n'ont pas habituellement d'antécédents psychiatriques et font majoritairement partie de la population dite active de la société.

Dans la littérature scientifique, composée majoritairement d'études réalisées par des psychiatres-chercheurs, le trouble d'adaptation se voit donner un statut intermédiaire particulier face au trouble mental «générique».

En effet, on situe généralement la gravité de la détresse psychologique associée au diagnostic entre une souffrance normale et une franche psychopathologie. Plusieurs auteurs expriment ouvertement un malaise à l'égard du statut psychiatrique du diagnostic.

Plus encore, on «accuse» parfois le trouble d'adaptation d'opérer pernicieusement une médicalisation d'un mal-être attendu lors d'un événement pénible rencontré dans la vie.

Chose certaine, catégoriser sans nuance le trouble d'adaptation parmi les troubles mentaux est problématique, car on autorise indirectement l'élargissement de la définition du trouble mental sur le territoire de la souffrance «normale».

Fait à noter, la littérature scientifique rapporte quelques rares cas cliniques de suicide associé au diagnostic, mais aucun d'homicide commis de la part d'une personne avec un trouble d'adaptation. Se peut-il ainsi que le diagnostic retenu chez le concerné n'ait pas été le bon? On peut certainement le penser, mais la discussion à tenir à ce sujet est complexe et dépasse le cadre de notre propos.

Cela dit, il demeure difficile de dissocier complètement le trouble d'adaptation des troubles mentaux. Le diagnostic est fortement associé au monde de la psychiatrie clinique, institutionnelle et scientifique. On ne saurait minimiser l'impact de cette situation paradoxale sur la perception du diagnostic.

D'abord, l'origine psychiatrique de la définition même du trouble d'adaptation, par cette classification des troubles mentaux de laquelle il est issu, lui donne d'emblée un statut équivoque.

Ensuite, bien que ce diagnostic soit mineur, les psychiatres le posent aussi souvent ou presque que les médecins de famille puisque la souffrance qu'il identifie est de nature «psy».

Soulignons au passage que l'acte diagnostique étant réservé à la profession médicale, tous les autres professionnels de la santé mentale (psychologues, psychothérapeutes, etc) sont moins susceptibles de travailler avec ce diagnostic. L'ambiguïté du trouble d'adaptation révèle ici toute son ampleur puisque le type de détresse psychologique associée au diagnostic relève bien davantage de l'expertise de ces «psy» cliniciens non psychiatres.

Dans l'affaire Turcotte, cette confusion «identitaire» du trouble d'adaptation face aux troubles mentaux se complique aussi d'une dimension sémantique et phénoménologique.

On peut la formuler sous forme de question : ce père de famille semblant aimer ses enfants (ce que donne comme impression les photos présentées dans les médias), cardiologue ou pas, ne devait-il pas être mentalement troublé ou avoir le «mental» troublé pour poser ce geste terrible?

Il est probable que le «diagnostic» du jury ait découlé de ce type de raisonnement provoquant ainsi une étrange forme d'incohérence et la perplexité dans une population.

Toutefois, souffrir mentalement, pour quelque raison que ce soit et aussi intensément que cela puisse être, ne signifie pas d'emblée souffrir d'un trouble mental à proprement parler!

Au risque d'amplifier une controverse, il conviendra de le rappeler deux fois plutôt qu'une : le trouble d'adaptation n'est pas un trouble mental.