Les employés des services techniques d'Air Canada redoutaient de laisser leur employeur pour se joindre à la nouvelle Aveos. Et avec les cadenas qui ont verrouillé les grilles de leurs ateliers dimanche, leurs craintes se révèlent tout à fait fondées.

Avoir raison, toutefois, c'est une mince consolation pour les 2620 derniers employés d'Aveos au Canada, dont 1785 travaillaient à Montréal jusqu'à vendredi.

Abandonnés par Air Canada au moment de sa restructuration judiciaire, en 2007, ces travailleurs ont été laissés aux mains des anciens créanciers, devenus actionnaires de l'entreprise. Mis à part Air Canada, encore actionnaire d'Aveos à hauteur de 17,5%, ces actionnaires sont majoritairement américains. Au risque de répéter une évidence, ces intérêts financiers n'ont aucune attache envers Montréal ou même le Canada.

Ce largage s'est fait avec la complicité d'un gouvernement conservateur qui a refusé de lever le petit doigt pour ces travailleurs. Et qui refuse aujourd'hui encore d'intervenir. Cette situation ne manque pas d'ironie (ou de cohérence) quand l'on sait que la ministre du Travail, Lisa Raitt, intervient au moindre signe d'impasse chez Air Canada pour retirer aux travailleurs leur droit de grève, sous prétexte que ce moyen de pression nuirait à la compétitivité du pays.

Il y a un an, l'ancien ministre des Transports, Chuck Strahl, défendait en ces mots le transfert à Aveos des services techniques lourds d'Air Canada. «On nous a assurés qu'il n'y aura aucune perte d'emploi. [...] Le plan de restructuration d'Air Canada et la cession de ses activités d'entretien à d'autres acteurs privés ont été entérinés par tout le monde, y compris par les employés et les syndicats.»

Soit, les spécialistes de l'entretien des moteurs et des avions d'Air Canada ont avalisé la restructuration du transporteur.

Mais ils avaient pour ainsi dire un fusil sur la tempe. C'était cela ou leur employeur faisait faillite.

La décision de rester chez Air Canada ou d'aller chez Aveos n'était pas plus facile. Officiellement, sept avenues se présentaient aux employés, dont la démission et le départ hâtif à la retraite. Mais dans les faits, les spécialistes de la maintenance dite lourde, de même que les employés de plusieurs autres catégories, n'avaient qu'un seul choix: travailler pour Aveos ou perdre leur emploi. Peut-on vraiment parler d'un choix?

Et est arrivé ce qui devait arriver. D'ici un an, Air Canada pourra retirer à Aveos le contrat qui lui assure l'écrasante majorité de ses revenus. Et le transporteur déficitaire (perte nette de 249 millions de dollars l'an dernier) cherche à réduire ses coûts par tous les moyens.

Déjà, s'il faut en croire Aveos, Air Canada a réduit, reporté ou annulé des travaux de maintenance. Ces travaux en moins l'ont privée de 16 millions en revenus au cours des deux derniers mois.

Air Canada se défend d'avoir mis Aveos dans l'embarras. «Air Canada a soutenu les activités d'Aveos de diverses façons et a respecté toutes ses obligations financières et juridiques.» Bref, les deux entreprises se rejettent le blâme.

Un fait est incontestable: Aveos n'a jamais réussi à réduire sa dépendance envers Air Canada, son principal client, en décrochant d'autres mandats significatifs.

Aveos dénonce aussi ses coûts de main-d'oeuvre élevés, que la société prétend être dans l'incapacité de comprimer en dépit des nombreux licenciements des derniers mois. Les employés d'Aveos sont sans contrat de travail depuis plus d'un an. Clairement, Aveos compte profiter d'une restructuration pour revoir les rémunérations et avantages sociaux à la baisse.

«Les conflits commerciaux avec Air Canada et l'incapacité d'Aveos de comprimer ses coûts de main-d'oeuvre représentent les principaux obstacles au retour à la rentabilité», fait valoir Aveos dans les documents déposés hier devant les tribunaux.

Encore une fois, les employés d'Aveos se retrouvent avec un fusil sur la tempe. Ils auront le choix entre des conditions de travail encore plus médiocres ou la perte de leur emploi. Aveos, elle? L'entreprise pourra toujours poursuivre ses activités au Salvador, où elle a investi pour agrandir ses ateliers. Ces installations ne sont pas visées par la restructuration judiciaire lancée hier, et ce n'est pas une coïncidence.

En quoi cette triste histoire est-elle différente des autres histoires de délocalisation? En ce qu'Air Canada doit garder au pays la maintenance et l'entretien de son parc d'avions. Précisément dans ses ateliers de Montréal, de Mississauga et de Winnipeg. C'était l'une des conditions fixées lors de la privatisation, en 1988.

Certains, dont l'ancien ministre Chuck Strahl, ont laissé entendre que cet aspect de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada était dépassé. Pourtant, les conservateurs sont en voie de mettre à jour cette loi (projet de loi C-17), pour s'assurer qu'Air Canada conserve son siège social à Montréal et continue d'offrir des services en français et en anglais avec sa nouvelle structure.

Il n'a jamais été question de permettre à Air Canada de faire l'entretien et la révision de ses avions à l'extérieur du pays. Aussi, la fermeture des centres d'entretien d'Aveos paraît visiblement en contravention de cette loi. L'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale aura de nouvelles munitions pour contester de nouveau le passage forcé chez Aveos devant les tribunaux.

Si les conservateurs veulent cautionner le transfert à l'étranger de la maintenance des avions d'Air Canada, ils devraient cesser de jouer les hypocrites et assumer leurs décisions. Avec les conséquences politiques qui vont avec.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca