Il y a un an, presque jour pour jour, Jack Layton se présentait devant la presse parlementaire aux Communes pour annoncer qu'il rejetterait le budget Flaherty, premier acte d'une élection qui allait changer la face du Canada.

M. Layton ne se doutait certainement pas, fin mars 2011, que son parti se retrouverait propulsé à l'opposition officielle cinq semaines plus tard et ses troupes ne s'imaginaient pas devenir orphelines avant la fin de l'été.

Après une année particulièrement mouvementée, les orphelins de Jack s'apprêtent à entamer officiellement leur nouvelle vie, d'abord en tentant de préserver le siège de Toronto-Danforth, ce soir dans une partielle, et, surtout, en choisissant leur nouveau chef, samedi à Toronto.

Le NPD est à la croisée des chemins et dire que la semaine qui s'amorce est historique pour le parti est un euphémisme.

On exagère parfois l'importance des élections partielles, mais dans le cas de Toronto-Danforth, une défaite pour le NPD aux mains des libéraux casserait le party avant même qu'il ne commence. Une victoire ce soir du candidat néo-démocrate Craig Scott, un professeur de droit à l'Université York, lancerait au contraire une semaine faste pour le NPD, qui choisira son nouveau chef à Toronto cette fin de semaine.

Après une trop longue campagne qui a surtout permis d'exacerber l'antipathie de l'establishment du parti à l'endroit du meneur, Thomas Mulcair, le NPD aura bien besoin d'un scénario tout en douceur pour se relancer sur une nouvelle base.

Mulcair en tête, vraiment? Suffit de voir la virulence des attaques dont il est l'objet pour comprendre qu'il mène, en effet. Dans une course, c'est toujours celui qui est devant qui offre son dos aux couteaux des autres prétendants.

Les propos de l'ancien chef et éminence grise du NPD, Ed Broadbent, la semaine dernière, ont une fois de plus illustré le gouffre entre M. Mulcair et les vieilles huiles du parti. Selon M. Broadbent, Thomas Mulcair ne rallie que des nouveaux députés parce que ceux qui le connaissent ne lui font pas confiance.

Il est cocasse de constater, en cette fin de campagne, que «Tom le dur», «Tom l'abrasif», ce politicien impitoyable au comportement belliqueux craint par ses pairs, aura, dans le faits, mené une campagne propre, positive et souriante.

Ses adversaires n'y croient pas. «Tom savait que son principal handicap, c'est son caractère, alors il a joué le bon gars, laissant à d'autres parmi ses supporters les attaques et les critiques», me disait récemment un détracteur de M. Mulcair.

Dans une course à la direction, ça joue dur, les coups volent et on ne se fait pas de cadeau. Les chicanes de famille sont rarement jolies à voir. Rappelez-vous Mulroney-Clark, Chrétien-Martin, Boisclair-Marois, pour ne nommer que quelques exemples. Les courses à la direction meurtrissent les partis (et l'ego des candidats), c'est inévitable, mais ils peuvent aussi en sortir plus fort si le nouveau chef arrive à pacifier les troupes et à rassembler ses adversaires.

On parle beaucoup du tempérament de M. Mulcair, mais depuis quand la détermination et la combativité sont-elles des défauts en politique? En face d'un Stephen Harper majoritaire et impitoyable, le NPD aura bien besoin d'un bagarreur.

La principale tare de M. Mulcair, selon ses adversaires, ce n'est pas son tempérament bouillant, c'est son «impureté». Selon eux, Thomas Mulcair n'est pas un vrai néo-démocrate, il ne fait pas partie de la famille, c'est un agent du néo-libéralisme infiltré au NPD. Même Jack se méfiait de lui, laissent entendre certains. Thomas Mulcair ne comprend pas le NPD et il amènera le NPD à la droite du Parti libéral, ce qui causera nécessairement sa perte, disent-ils.

Ça me rappelle tous ces péquistes qui accusaient Lucien Bouchard de ne pas être un «vrai», même si celui-ci avait porté le camp du OUI à bout de bras en 1995, le conduisant à la porte d'une victoire inespérée.

On est ici plus près de la religion que de la politique. Lorsqu'ils entendent M. Mulcair dire qu'il faut moderniser le NPD, ses adversaires réagissent comme des évêques à qui on parle de l'ordination des femmes dans l'Église catholique.

Quant à la comparaison avec le New Labour de Tony Blair (la transformation du Parti travailliste par son ancien chef dans les années 90), c'est presque une hérésie! «Blair a modernisé son parti, mais regardez un peu où est rendu le Labour aujourd'hui», m'a dit un opposant de M. Mulcair récemment.

Apparemment, le fait que Blair ait aussi réussi à mener le Labour au pouvoir pendant une décennie ne compte pas dans cette analyse. Pas plus, on dirait, que le fait que Jack Layton a lui aussi modernisé son parti pour le sortir de sa marginalité électorale, avec le succès que l'on sait.

Avec moins d'une semaine devant eux pour élire le successeur de Jack Layton, les militants du NPD devront se demander ce qui est le plus risqué: choisir un néo-néo-démocrate prêt à diriger dès le premier jour et largement favori au Québec ou un orthodoxe qui rassurera l'establishment et la base partisane traditionnelle?