Près du quart des travailleurs du pays sont en chômage, un niveau inégalé en Occident... Les ventes et les prix de l'immobilier sont toujours en chute libre, laissant un million de maisons invendues... Et, pour couronner le tout, le gouvernement de cet État surendetté s'attend à une récession cette année.

Normalement, ce portrait économique de l'Espagne devrait effrayer les investisseurs lucides ou moindrement prudents. Et pourtant.

Sur les débris de la crise espagnole, l'entreprise américaine Las Vegas Sands (LVS) veut tenter le grand jeu: implanter le plus grand complexe de casinos en Europe.

«Eurovegas», tel qu'on le surnomme outre-Atlantique, sera la version européenne de la capitale américaine du jeu: six casinos, 36 000 chambres d'hôtel, trois terrains de golf, un auditorium de 15 000 places.

Les prétendants qui se disputent ce projet gigantesque? Madrid et Barcelone - les deux éternelles rivales, en politique comme sur les terrains de soccer.

Or, LVS brandit un trophée peu ordinaire pour l'éventuel gagnant: 17 milliards d'euros d'investissements et, surtout, la création de 261 000 emplois (directs et indirects).

Comme un Don Quichotte moderne affrontant la crise économique, Sheldon Adelson, le propriétaire de Las Vegas Sands, fait des sparages qui divisent la population. Des groupes sociaux voient dans son projet de la «mégalomanie» aux retombées éphémères. D'autres rêvent de la venue d'un sauveur.

M. Adelson a promis de faire son choix rapidement. Après un an d'études et 7,6 millions d'euros (10 millions CAN) dépensés, la décision doit tomber avant l'été, soutient le milliardaire.

Le désert économique

Évidemment, les retombées de l'Eurovegas font saliver. Les médias locaux témoignent régulièrement des courbettes des milieux politiques et des gens d'affaires devant le géant américain.

Rien de surprenant, faut-il admettre, au vu du dernier bilan de l'économie espagnole. Une catastrophe.

Jeudi dernier, on apprenait que la crise immobilière espagnole, qui a éclaté en 2008, continue de s'aggraver. Les ventes de maisons ont chuté de près de 30% l'an dernier, atteignant fin 2011 leur plus bas niveau depuis 2007.

À l'échelle du pays, le prix moyen d'une maison a chuté de 11,2% l'an passé, selon l'Instituto Nacional de Estadistica. Dans la capitale Madrid, le recul atteint de 15,7%.

Il y a une semaine, des dizaines de milliers d'Espagnols ont manifesté à travers le pays contre une réforme du droit de travail facilitant les licenciements et donnant aux employeurs le droit de limiter les hausses salariales.

L'Espagne a le taux de chômage le plus élevé de l'Union européenne: 23%. Et le gouvernement prévoit un taux encore plus élevé - soit 24,3% - dans la foulée de la récession pressentie en 2012. Près d'un chômeur sur trois dans la zone euro se trouve en Espagne.

Les syndicats ont appelé à une grève générale le 29 mars pour protester contre l'austérité budgétaire que l'Union européenne a imposée aux Espagnols.

Pour 2012, l'Espagne a été autorisée à accroître son énorme déficit public à 5,3% du produit intérieur brut (PIB), contre 4,4% prévus à l'origine. Toutefois, sous les menaces de sanctions, l'Eurogroupe a insisté pour que Madrid ramène le déficit à 3% du PIB dès 2013.

La commande est énorme et le pays risque l'asphyxie, selon les économistes. «En pleine récession» et «avec pourtant un peu de croissance en 2011, l'Espagne est à peine parvenue à réduire son déficit l'an passé», souligne Jésus Castillo, de la banque française Natixis, interrogé par l'AFP.

D'ailleurs, Madrid vient d'admettre que «630 000 emplois (chiffre net) seront encore détruits en 2012».

Des conditions

Le directeur de communication de LVS, Ron Reese, soutient que Madrid et Barcelone «sont à égalité» dans la course de l'Eurovegas. Le projet, dit-il, ira à celle qui se montrera la plus «flexible».

Selon le quotidien El País, LVS a dressé une liste d'une trentaine de conditions préalables à son implantation.

L'entreprise exigerait notamment la cession gratuite du terrain pour y ériger son complexe, deux ans d'exemption de cotisations sociales, 10 ans d'exemption de taxe sur le jeu et, pourquoi pas, l'autorisation d'entrée dans les casinos pour les mineurs!

En somme, le gagnant devra faire toute une gymnastique. La présidente de la région de Madrid, Esperanza Aguirre, est prête, elle, à faire toutes les contorsions nécessaires.

«S'il faut faire n'importe quelles modifications législatives, réglementaires [...], qui soient dans mes principes, elles se feront [...]. Obtenir ces deux millions d'emplois signifierait que la moitié des Madrilènes qui sont au chômage cesse d'y être», a-t-elle confié. De toute évidence, M. Adelson - 14e fortune mondiale, selon Forbes - a de bonnes chances de gagner son pari.