«La plupart des gens s'intéressent aux actions quand tout le monde s'y intéresse. Le moment d'acheter est quand personne ne veut acheter.»

En faisant cette remarque il y a plusieurs années, le célèbre financier américain Warren Buffett voulait souligner l'importance d'investir au bon moment en Bourse. Sans doute ignorait-il, à l'époque, que ses précieux conseils allaient inspirer la stratégie d'investissement de la Chine dans le reste du monde.

Même si la crise grecque a fragilisé toute l'Europe, y compris plusieurs fleurons du secteur privé, l'intérêt des Chinois pour le Vieux Continent ne se dément pas, au contraire.

L'Union européenne est devenue, en 2011, la première cible des rachats des sociétés chinoises à l'international - avec 34% du total - devant l'Asie et l'Amérique du Nord, selon la firme A Capital, un fonds européen qui conseille les entreprises chinoises.

La Chine est donc en train de placer ses pions, doucement, mais sûrement.

Plusieurs fronts

Les fusions et acquisitions constituent le fer de lance de l'offensive chinoise. Malgré une violente tempête boursière, celles-ci ont augmenté de 155% en Europe en 2011 pour atteindre 10,4 milliards US, devançant les autres territoires comme l'Asie (8,2 milliards US) et l'Amérique du Nord (6,4 milliards US).

Et depuis le début de 2012, les entreprises de l'empire du Milieu multiplient les incursions sur plusieurs fronts, dont la production d'électricité au Portugal, la chimie norvégienne et le secteur des machines-outils en Allemagne.

Voici quelques transactions importantes:

- Shandong Heavy Investment a acquis le mois dernier 75% du fabricant italien de yachts de luxe Ferretti;

- le géant énergétique State Grid Corporation of China a récemment acheté 25% d'un distributeur d'électricité au Portugal;

- à la fin du mois de janvier, le géant des machines-outils Sany s'est emparé de Putzmeister, fleuron de la technologie allemande.

Et ce n'est pas fini.

La semaine dernière, on a appris que la China Investment Corporation (CIC), puissant fonds étatique chinois riche de 410 milliards US, vient de recevoir quelque 30 milliards US additionnels de Pékin pour investir surtout en Europe, a révélé son directeur adjoint, Wang Jianxi, cité par le China Daily.

La CIC a été fondée en 2007 pour investir dans des entreprises étrangères une partie des colossales réserves de change de la Chine, qui frôlaient à la fin de 2011 les 3200 milliards US.

Les Chinois cherchent aussi à renforcer leur présence en Europe en investissant directement dans la production. Un exemple: le constructeur automobile Great Wall vient de confirmer sa venue en Bulgarie, où il investira 80 millions d'euros dans l'usine de Bahovitsa, qui produira 50 000 véhicules par an. Son plan: prendre pied sur le marché européen et éviter les droits de douane.

Haut de gamme

L'offensive chinoise en Europe est donc bien organisée. Elle s'inscrit dans la nouvelle stratégie économique de la Chine, dont les grandes lignes ont été dévoilées la semaine dernière par le premier ministre Wen Jiabao. En vertu de ce plan, plus question pour le Dragon chinois de se cantonner à son rôle d'«atelier du monde» et de dépendre surtout des exportations.

«Les entreprises chinoises veulent contrecarrer l'image «bas de gamme» de leur production. Pour cela, elles essaient de monter dans la chaîne de valeur, et de relocaliser [...] leurs produits en Europe», explique dans une note financière Hervé Solignac Lecomte, directeur du commerce international chez HSBC France.

De plus, l'offensive européenne témoigne de la volonté de Pékin de diversifier les investissements du pays.

En 2011, 60 à 70% des réserves de change de la Chine étaient placées en dollars américains (surtout en bons du Trésor), environ un quart en euros et le reste dans d'autres devises. Mais l'aventure américaine n'ira pas plus loin, et il faut répartir le risque.

Les Chinois ont compris que la crise européenne représente une occasion en or. L'Europe conserve plusieurs atouts, dont un savoir-faire, des technologies de pointe et un fort pouvoir d'achat, expliquent les économistes.

Dans une entrevue avec l'agence Bloomberg il y a quelques jours, un haut dirigeant de la CIC a résumé ainsi sa tactique. «Lorsque, dans une région, il y a des actifs présentant de faibles valorisations et des rendements raisonnables, en prenant en compte l'ensemble des risques, nous achetons», a-t-il confié.

En clair, son message est le suivant: la Chine est «acheteuse» et l'Europe est dans notre ligne de mire.

D'ailleurs, les investissements chinois à l'étranger montent en flèche depuis une décennie. En 2011, ceux-ci ont atteint 68 milliards US sur l'ensemble de la planète, soit 10 fois plus qu'en 2001, selon A Capital.