Le ton monte entre l'Ontario et l'Alberta. Les premiers ministres des deux provinces s'échangent des propos assez musclés. L'objet du litige? Les sables bitumineux.

Cette chicane pourrait tout aussi bien être la nôtre. L'économie et la politique canadiennes se transforment avec la production des sables bitumineux. Cela crée un pays à deux vitesses, déséquilibré, et sans doute frappé par ce que les économistes appellent la maladie hollandaise.

La chicane entre l'Alberta et l'Ontario, rapportée hier par The Globe and Mail, résume bien le problème. Alison Redford, la première ministre de l'Alberta, a suggéré aux Ontariens de défendre les sables bitumineux avec plus d'enthousiasme parce que leur économie en profite. Le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty a répondu que les «pétrodollars» faisaient plutôt tort aux exportations de sa province. Mme Redford a qualifié cette réponse de «simpliste».

Cette petite chicane met en relief un grand vide. L'Alberta s'est lancée tête baissée dans l'exploitation des sables bitumineux, maintenant avec l'approbation enthousiaste du gouvernement conservateur, sans les réflexions, les analyses, les débats publics qu'exigerait une transformation aussi profonde de notre économie et de notre société.

Au point de départ, le Canada, grâce aux sables bitumineux, dispose de réserves pétrolières colossales, nécessaires pour le Canada et pour le reste du monde. Cela pose toutefois deux problèmes. Leur impact environnemental plus fort que pour d'autres formes de pétrole. Le choix de l'Alberta de développer très rapidement cette ressource - sa production triplera dans les prochaines décennies - sans déployer les efforts nécessaires pour en atténuer les effets négatifs.

Cette production bénéficie d'abord et avant tout à l'Alberta: forte croissance, faible chômage, abondants revenus fiscaux. Cela a engendré une culture de «boom», où l'on manifeste peu d'empressement à constituer des réserves pour l'avenir.

Est-ce que les sables bitumineux profitent aux autres? Bien sûr. Par les revenus fiscaux du gouvernement fédéral, dont le Québec est largement bénéficiaire. Par les perspectives d'emplois et d'affaires en Alberta. Par les retombées. Le Canadian Energy Research Institute a calculé qu'elles se chiffreraient à 31 milliards sur 25 ans au Québec et permettraient d'y créer 18 000 emplois par année, soit la moitié de ce que procurerait le Plan Nord selon une récente étude du groupe Secor.

Mais il y a des coûts. D'abord, au plan environnemental, ce sont les autres provinces et les autres industries qui devront réduire encore plus leurs émissions de GES pour compenser celles des sables bitumineux. Et qui souffriront le plus de la mauvaise image environnementale du Canada.

Mais surtout, la production pétrolière, et surtout la hausse des prix des ressources, gonflent la valeur du dollar canadien. Le prix des ressources enrichit évidemment l'Alberta. Mais elle appauvrit le Québec et l'Ontario, parce que ce taux de change élevé affecte les exportations et les industries exportatrices qui y sont concentrées.

C'est ce qu'on appelle la maladie hollandaise, un terme qui fait référence à l'expérience des Pays-Bas où la découverte de pétrole dans les années 60 et la hausse du prix des ressources ont gonflé la devise et provoqué un déclin de l'industrie manufacturière. L'étude de l'OCDE sur le Canada de 2008 parlait déjà de maladie hollandaise. Une étude de 2009 a même calculé que 63% des pertes d'emplois manufacturiers dues à la hausse de valeur du dollar canadien s'expliquaient par le prix des ressources.

Il y a cependant de grosses différences entre le Canada et les Pays-Bas. Le Canada est très vaste et il est décentralisé. Les gagnants sont à l'Ouest et les perdants sont à l'Est. Et on n'a jamais discuté sérieusement, au Canada, des mécanismes de redistribution et de compensation que devrait exiger ce déséquilibre.