La dernière fois que le journaliste libanais Rami Aysha a croisé sa collègue du Sunday Times, Marie Colvin, c'était à la frontière entre la Syrie et le Liban, il y a trois semaines.

Rami sortait de Syrie. Marie s'apprêtait à y retourner. Ils ne se sont plus jamais revus.

Quand il a su que la grande reporter américaine avait été décapitée par un obus, Rami Aysha a littéralement perdu le souffle. «Je n'arrivais plus à respirer.»

Car pour lui, Marie Colvin était plus qu'une connaissance. C'était une amie. Mais aussi, une mentor. «C'est elle qui m'a appris comment couvrir une guerre», confie Rami, que j'ai rencontré hier dans un café de la place Sassine, à Beyrouth.

Rami Aysha a 30 ans. Il en avait à peine 25 quand des affrontements entre des islamistes et l'armée libanaise ont embrasé le camp de réfugiés de Nahar el-Bared, près de Tripoli.

Marie Colvin est venue couvrir l'événement. Et Rami Aysha lui a servi de «fixer», autrement dit d'assistant, facilitateur et traducteur.

Au cours des derniers jours, il y a eu énormément de témoignages sur le courage de cette femme de 55 ans, qui n'avait jamais voulu abandonner son métier, même si elle a perdu un oeil en couvrant le conflit civil au Sri Lanka.

Rami Aysha l'a vue réagir avec calme dans des situations difficiles. En 2007, un type lui a sauté dessus en vociférant «Allah Akbar.» Elle s'est retrouvée à l'hôpital.

Mais ce qui l'a marqué avant tout, c'est le professionnalisme d'une journaliste déterminée, qui prenait tout son temps pour aller au fond d'une histoire.

«J'ai beaucoup appris en l'écoutant poser ses questions. Elle arrivait toujours très préparée. Et là où d'autres journalistes prennent une heure, elle en mettait deux. Elle ne se contentait pas de rester à la surface des choses.»

Rami est allé cinq fois à Homs au cours des derniers mois. Toujours clandestinement: exception faite de quelques «visites guidées», le territoire syrien est interdit aux journalistes étrangers.

Les journalistes et leurs passeurs se livrent au jeu du chat et de la souris avec la sécurité syrienne. Quand un point de passage est miné, ils en trouvent un nouveau. Qu'il faut traverser à pied, avant d'être récupéré par un passeur en scooter, de l'autre côté.

En plus de Marie Colvin, une poignée d'autres journalistes ont eu le courage de s'installer au coeur même du quartier Baba Amr, dernier bastion des rebelles syriens à Homs. Le photographe Rémi Ochlik, tué dans le même bombardement. Les journalistes Édith Bouvier et Paul Conroy, qui s'en sont tirés avec de graves blessures. Et qui, au moment où j'écris ces lignes, attendaient toujours d'être évacués et soignés convenablement.

Il y aussi le journaliste espagnol Javier Espinoza, qui a survécu miraculeusement au bombardement. Et Paul Wood, de la BBC.

La dernière fois où il a visité Homs, Rami Aysha a vu une ville démolie, affamée, où seuls des rebelles armés de kalachnikov traînaient encore dans les rues. «La ville sentait littéralement le sang.»

Depuis, la situation s'est encore dégradée. «C'est un mensonge de dire que l'armée syrienne tue des terroristes. Elle pilonne une ville de civils gelés et affamés», a dit Marie Colvin dans l'un de ses derniers témoignages à la télévision.

Même s'il est clair que le régime syrien se passerait volontiers de ce genre de témoignage, il est impossible d'affirmer à coup sûr que son artillerie a expressément visé la «maison des médias» où séjournaient Mary Colvin, ses collègues et quelques opposants du régime.

C'est ce que croit le journaliste français Jean-Pierre Perrin, qui a quitté Homs quelques jours avant le bombardement fatal. Après tout, la même maison des médias avait déjà été touchée par des obus. Le journaliste raconte aussi avoir été incité à quitter la ville. «S'ils trouvent les journalistes, ils vont les tuer», l'a-t-on averti.

Les circonstances troubles dans lesquelles a péri le journaliste Gilles Jacquier, également à Homs, ajoutent du poids à la thèse d'un bombardement ciblé. Mais enfin, le doute subsiste.

Ce qui est clair, en revanche, c'est que la Syrie est devenue l'une des destinations journalistiques les plus périlleuses que l'on ait vues depuis longtemps. Et que si les journalistes n'osent plus y aller, par crainte pour leur vie, la tuerie pourra s'y poursuivre impunément, sans témoins extérieurs.