C'est pas pour me vanter, mais j'ai toujours eu des lectrices amusantes. Comme cette Murielle C. qui, dans un premier mouvement, souhaite être ma fiancée pour une heure, mais se ravise aussitôt pour suggérer à La Presse un concours: Devenez la fiancée de Foglia pendant toute une journée. J'ai soumis l'idée à la fiancée en titre, elle a dit: pourquoi une journée? Pourquoi pas trois ou quatre mois? Pourquoi pas tout un hiver?

Es-tu en train de dire que je suis pas drôle l'hiver?

T'es effrayant. Surtout quand il neige. Surtout quand tu relis Nietzsche.

Tiens donc?

Oui. J'ai remarqué. Tu relis Nietzsche 1) quand tu te fais particulièrement chier; 2) quand t'as rien d'autre à lire; 3) quand ça te tente pas d'aller pédaler à la cave sur ton vélo d'entraînement.

Tu connais quelqu'un qui se précipite pour aller pédaler à la cave?

Non. Et je ne connais personne non plus qui a commencé Le Gai Savoir il y a quinze ans et qui ne l'a toujours pas fini...

Puisque c'est comme ça, puisque tout le monde m'ayiiiit, je m'en vais en Syrie. Enfin j'essaie d'aller en Syrie. Quand je me suis nommé en appelant à l'ambassade, le monsieur au bout du fil a dit: Ah! monsieur Foglia! ...

Il y a toutes sortes de «Ah! monsieur Foglia». Il y a le ton menton-en-l'air: c'est-vous-ça-le-con-qui-écrit-des-chroniques-sur-les-déodorants? Il y a le ton ami-de-la-famille: comment-va-la-fiancée-et-Tonton? Et il y a le ton secrétaire d'ambassade: Ah! monsieur Foglia, monsieur Foglia! Francophone et francophile, il lit La Presse; si ça ne dépendait que de lui, je serais déjà en Syrie. Malheureusement, cela ne dépend pas de lui du tout. Mon dossier est à Damas, au ministère de l'Information. La pile des demandes de visas est haute comme ça, le fonctionnaire qui s'en occupe est en vacances à New York chez son oncle, c'est pas sûr qu'il va revenir.

Bref, j'irai en Syrie comme tout le monde, quand le régime va s'effondrer. Sauf qu'à ce moment-là, ça ne me tentera plus. Je n'ai pas envie d'une autre place Tahrir. Je veux seulement aller à Palmyre prendre un thé sous les arcades de la rue Sharia-al-Quwatli, aller faire aussi la côte syrienne méditerranéenne, Tartous et Latakieh comme un vrai touriste. Mais si, justement, c'est le temps de faire le touriste en Syrie. Dans Un barbare en Asie, Henri Michaux dit que «le passant aux yeux naïfs a dix fois plus de chance de "mettre le doigt sur le centre" que le grand reporter». Je suis pas sûr que Michaux dise exactement ça, mais ça veut dire ça.

Une fois, je suis allé en Syrie, à Kamechliyé, c'est au bout du désert, à la frontière de la Turquie. Dans le train qui m'y menait, j'avais rencontré un jeune homme qui rentrait chez ses parents, chez lesquels il m'a traîné littéralement. Il m'a laissé sa chambre pour aller dormir je ne sais où. Dans cette maison pleine de gamines ricaneuses, j'ai été traité comme un membre de la famille pendant trois jours. Le père, bourgeois assez opulent, tenait une mercerie rue principale. La mère m'avait supplié de ne pas aider le fils à aller en Amérique. Elle m'avait dit ça en arabe, mais comme elle pleurait en même temps, c'était facile à comprendre. Je l'ai aidé pareil, mais ça n'a pas marché.

De Kamechliyé, j'étais à cinq minutes de la Turquie en taxi. Aussitôt la frontière traversée, j'ai trouvé la Turquie bien rébarbative en regard de l'amène Syrie. On ne me croit pas quand je le raconte. La Syrie, t'es sûr? Certain. Demain matin.

Mais bon, cela ne se fera pas. Où pourrais-je bien aller, dites-moi? Sept-Îles, plaque tournante du Plan Nord? Quoi? Vous aussi vous m'hayissez?

Pour revenir à la dame qui voudrait être ma fiancée -non, attendez, pour revenir aux déodorants-, parmi tous les commentaires reçus, celui qui m'a vraiment réconforté, c'est celui de cette dame qui m'apprend que l'actrice Julia Roberts a avoué à Oprah qu'elle ne mettait pas de déodorant, mais qu'elle se lavait les aisselles trois ou quatre fois par jour.

Je me vois en entrevue avec Julia Roberts: bonjour, madame, dans Le Gai Savoir, Nietzsche parle du masque de l'acteur et du malentendu... Elle se lève alors et, avec sa grande, grande bouche, celle qu'elle avait dans Pretty Woman, elle me dit: Excusez-moi, il faut que j'aille me laver les aisselles.

N'empêche que ces questions d'odeurs semblent vous avoir interpellés plus que... tiens, disons plus que la réforme de la Sécurité de la vieillesse proposée par M. Harper. Je vous ai même sentis, si j'ose dire, prêts à d'autres confidences, plus intimes encore, sur vos poils, par exemple. Je ne mets pas de déodorant et je ne me rase pas non plus, si vous voulez savoir. Oui, madame, je veux le savoir.

C'est pas pour me vanter, mais quand j'étais petit, ma mère et mes soeurs, toutes deux plus vieilles que moi, avaient du poil sous les bras. Vous avez dit wouache? Quand j'évoque ce souvenir-là, il y a toujours quelqu'un qui fait un wouache vraiment dégoûté comme si je leur montrais, en couleur, une tranche d'un cancer du foie.

Si ma première fiancée avait aussi du poil sous les bras? Plein. On s'était parti un petit commerce, on en faisait des pinceaux qu'on vendait pour se faire des sous pour aller au cinéma. Ben non, c'est pas vrai, tata. On n'allait pas au cinéma. On lisait Nietzsche. Ma fiancée se trompe quand elle dit que j'essaie de finir Le Gai Savoir depuis 15 ans. Ça fait pas 15 ans, ça fait exactement 57 ans que je le relis pour ses illuminations. Tiens, celle-ci par exemple, qui ramasse le capitalisme en une formule d'une fulgurante concision (sauf qu'il ne pouvait pas savoir qu'il résumait le capitalisme puisqu'on était en 1882)... Le besoin passe pour la cause de l'apparition: en vérité, il n'est souvent qu'un effet de la chose apparue.

Et aussi pour son strict inventaire de l'homme moyen: rien de bon, presque rien de mauvais.