Les véritables progrès, pour contrôler la hausse des coûts et améliorer le système, ne viendront pas d'initiatives spectaculaires susceptibles de provoquer des débats enflammés, comme les tickets modérateurs, la place du privé, l'élimination des agences de santé.

Ils proviendront plutôt de ce que l'on pourrait appeler des réformes de l'ombre, qui ne se voient pas, qui ne touchent pas directement les citoyens, qui ne les pénaliseront pas. Des réformes dont on parle depuis des années, proposées dans une foule de rapports, mais où le Québec commence à manifester du retard par rapport aux autres provinces et aux pays auxquels il aime se comparer.

Ces réformes, assez techniques, illustrent aussi comment une approche de nature économique permettrait au système d'être plus souple et de mieux livrer la marchandise. En voici quatre exemples.

La première initiative, la plus importante, consiste à repenser le financement des hôpitaux pour que l'argent suive le patient, comme dans le cas des médecins. À l'heure actuelle, les hôpitaux sont subventionnés sur une base historique, indépendamment de leur volume d'activités, sauf dans le cas de quelques chirurgies. Ce mode de financement ne comporte aucune incitation à mieux faire, et peut même pénaliser les bonnes initiatives. Le financement basé sur les activités, au contraire, encourage l'innovation et le dépassement. C'est devenu une norme internationale. Le Québec est très en retard et aura du mal à rattraper le temps perdu, faute de volonté politique, et parce qu'il ne dispose pas d'un élément essentiel pour y parvenir, une bonne connaissance des coûts des activités de ses hôpitaux.

La seconde grande réforme porte sur la rémunération des omnipraticiens. Pour compenser la pénurie de médecins, il faut modifier leur façon de travailler, comme le permettent les Groupes de médecine familiale. Pour que ça fonctionne, il faut aussi modifier la façon dont on les paye, pour les encourager à changer et pour adapter la rémunération à la nature nouvelle de leurs activités. La meilleure façon, c'est d'intégrer des éléments de capitation, où on ne paie pas les médecins à l'acte, comme maintenant, mais en fonction de leur bassin de clientèle. Cette approche favorise la réorganisation du travail, la délégation intelligente, l'utilisation de l'internet, pour lequel les médecins ne sont actuellement pas payés.

La troisième réforme n'est pas nouvelle. Mais il reste énormément de travail à faire. Elle consiste à déplacer les efforts, quand c'est possible, des interventions lourdes vers des interventions plus légères. Prévenir plutôt que guérir. S'attaquer aux déterminants de la santé, pauvreté, habitudes de vie. Les cliniques plutôt que les urgences. Le maintien à domicile plutôt que l'institutionnalisation des personnes âgées. Les centres de soins de longue durée plutôt que les hôpitaux. Les médicaments plutôt que les interventions chirurgicales. Ça coûte moins cher, ça libère des ressources rares, mais surtout, cela favorise la justice sociale et la qualité de vie. Plusieurs initiatives vont dans cette direction, comme le développement de la première ligne ou la réorganisation des soins pour les personnes âgées. Mais le processus est lent et timide. Des secteurs d'intervention comme la prévention et le maintien à domicile restent des parents pauvres.

La quatrième réforme est technologique. L'augmentation de la productivité, dans tous les pays, repose largement sur l'investissement, et dans le cas des services, sur les technologies de l'information et des communications. Mais la santé, qui compte pour 10,4% de notre PIB, a échappé à cette révolution. L'informatisation est incomplète, bordélique. C'est un énorme handicap, mais aussi le symptôme d'un système qui vit dans sa bulle, à l'abri des lois économiques normales, devenu incapable de faire les bons choix.