Vous vous souvenez de «l'énoncé des valeurs» concocté par la Ville de Gatineau pour ses immigrants, un petit guide qui les invitait carrément à se laver le cul plus souvent? «Les citoyens-immigrants devront porter une attention particulière à la propreté, l'hygiène corporelle...»

Les Australiens, par la députée Teresa Gambaro, porte-parole de l'opposition en matière d'immigration au Parlement fédéral de Canberra, les Australiens, dis-je, qui adhèrent au même multiculturalisme proactif que le nôtre, viennent d'en rajouter une couche. Mme Gambaro a suggéré que l'on informe officiellement les immigrants qui arrivent en Australie que la norme, LA NORME, en Australie, est de se mettre du déodorant avant de prendre l'autobus.

Je m'apprêtais à m'amuser de la chose en quelques lignes quand, comme ça, pour causer, j'ai demandé à ma fiancée si les gens qu'elle connaît - que je connais aussi, donc - mettent du déodorant.

La plupart, oui, me dit-elle. Tu crois? Par exemple, Untel? Ah, lui, c'est sûr, elle me dit. Et Chose, tu crois aussi? Chose aussi, elle me confirme. Comment tu sais? Je le sais, tout le monde met du déodorant. Toi aussi, chérie? Évidemment.

J'ai appelé des collègues au bureau. Des hommes. Vous vous mettez du déodorant, les boys? Ben oui, ils s'en mettent, tous. Lui, et lui, et lui aussi. Et même les enfants de celui-là. Tes enfants? Mais c'est des ados! Et alors?

J'ai appelé ma fille. Dis moi, ma fille, ton mari, il met du déodorant? Papa, je ne connais personne autour de moi qui n'en met pas. Sauf toi.

Au début de ma petite enquête, j'ai appelé un peu n'importe qui. Puis je me suis mis à espérer que quelqu'un me dise non, moi, j'en mets pas. Je ne voulais plus être tout seul. King! Je vais appeler King.

Allô, King, j'te réveille? Tu te mets du déodorant, toi? Il y a eu un silence pendant lequel il s'est demandé s'il allait m'envoyer chier ou s'il allait me répondre, puis l'aveu est venu, un peu penaud m'a-t-il semblé: Ouais, j'en mets. Et précipitamment, comme une excuse: mais ça fait pas longtemps, deux ou trois ans. Et tout de suite après, comme une autre excuse: c'est ma soeur qui m'a dit d'en mettre.

De quoi elle se mêle? Tu puais?

Non, mais justement, c'est ce qu'elle m'a dit: mets-en avant que quelqu'un te dise que tu pues.

Bref, King aussi. Me v'là tout seul. À moins que... Dan Lemay. Ma dernière chance, c'est Dan Lemay... Allô, Dan, tu te mets du déodorant, toi?

Non.

Yesssss!

Mais je m'en suis mis longtemps.

Fuck. Ça a bien l'air que je suis tout seul à n'avoir jamais touché à ce truc-là. Même King, figure-toi. C'est incroyable. Je viens de l'appeler, il en met parce que sa soeur lui a dit d'en mettre. As-tu une soeur, Dan?

Deux.

Holà, méfie-toi.

J'ai l'air de prendre la chose légèrement, n'empêche que, rendu là, j'avais une question pas si légère dans ma tête: est-ce que je pue? J'ai rappelé ma fille pour lui demander exactement ça: est-ce que je pue, ma fille?

Elle a pas dit non. Elle a dit: t'as ton odeur.

Quelle odeur? Je sens quoi? Le vieux? Le kangourou? La soupe au chou? Les entrailles de poisson?

Tout le monde a son odeur, elle a dit.

Ben voilà, le déodorant, c'est pour ça: pour que le monde ait pas d'odeur. Fait que si vous venez dans la salle de rédaction de La Presse la semaine prochaine, mettons, et que ça sent quelque chose, c'est pas moi parce que j'y suis presque jamais. C'est pas King non plus, à cause de sa soeur. C'est forcément Dan Lemay, quoique... Attendez, j'y pense à l'instant, ça peut être aussi n'importe lequel de mes confrères en train d'interviewer un Tamoul, un Kurde, un Moldave ou, va savoir, un Français.

ODEURS, SUITE ET FIN - Il y a des gens qui puent même s'ils se mettent du déodorant. Ils ne puent pas des aisselles ou de l'entrecuisse, ils puent de la tête. Il n'y a pas de déodorants pour la tête. Je pense à celui-là, proche de M. Harper, qui, hier, a suggéré de laisser une corde dans la cellule de quelques criminels. Je pense à ces lecteurs qui, sur les affaires de justice, se mettent soudain à dégager une odeur d'hyène, cet animal carnassier qui se nourrit surtout de charogne. Au fait, on écrit aussi la hyaine.

Il y a des gens qui, au lieu de déodorant, devraient recourir aux puissants désodorisants conçus exprès pour les latrines publiques.

LES HOMMES - La question a été posée dans notre journal et dans d'autres tribunes et va sûrement se reposer si le Canadien continue de s'enfoncer: faut-il échanger Subban?

Les uns avancent qu'il deviendra une supervedette de la Ligue nationale, les autres non, qu'on l'a surévalué.

Permettez que je vous éloigne du hockey? Vous vous rappelez Michael Jordan? Il a été pendant plusieurs années, les trois premières avec les Bulls, le meilleur joueur de basket du monde qui n'allait absolument nulle part. Kobe Bryant? Pareil. Et puis, un jour, ils ont changé. Ils ne sont pas devenus de meilleurs joueurs - techniquement, ils ne pouvaient pas être meilleurs qu'ils l'étaient à ce moment-là. Ils sont devenus des hommes. C'étaient des petits cons - enfin, des grands -, ils sont devenus des hommes. Comment? En vieillissant, c'est tout. Et il est en train de se passer exactement la même chose avec LeBron James à Miami, toujours dans la NBA.

Il ne faut pas se demander si Subban deviendra un grand joueur. Il faut se demander si le petit con deviendra un homme. Je viens de vous donner trois bons exemples, mais ça marche pas à tous les coups.