Les Canadiens se sont faits à l'idée que la «Liberté 55» est un concept d'une autre époque, une publicité de la London Life qui a mal vieilli.

Bon nombre rêvent encore de partir à la retraite à 60 ans, mais ils se doutent qu'ils n'en auront pas les moyens avant 65 ans.

Mais, être forcé de retarder son départ à 67 ans, voire à 70 ans?

L'annonce de changements à venir dans le Régime de pensions du Canada et à la Sécurité de la vieillesse fait frémir les Canadiens. Et cela, même si personne ne sait encore ce que le premier ministre Stephen Harper avait en tête au sommet de Davos, lorsqu'il a évoqué la nécessité de réformer ce programme pour qu'il soit viable à long terme.

La réponse viendra du ministre des Finances, Jim Flaherty, lors du dépôt du prochain budget.

Dans cette petite station de ski des Grisons, les propos de Stephen Harper n'ont étonné personne. Les voisins européens de la Suisse sont en voie de relever l'âge officiel de la retraite en raison des pressions exercées par l'endettement public et le vieillissement de la population.

Or, comme la plupart de ces pays paient leurs prestations de retraite au fur et à mesure, avec leurs revenus courants, le ralentissement de l'économie européenne met à rude épreuve leur capacité de tenir leur promesse tout en respectant leur budget.

En plus, certains pays européens partent de plus loin, si l'on peut dire. L'âge effectif de la retraite dans plusieurs pays d'Europe (Allemagne, France et Italie) est nettement moins élevé qu'au Canada.

C'est sans parler des pays où les femmes peuvent toucher leurs pleines prestations de retraite plusieurs années avant les hommes! Cette différence se situe actuellement à cinq ans au Royaume-Uni et en Italie.

En fait, l'Italie et la France ont l'insigne honneur d'avoir les régimes publics de retraite les plus onéreux de la planète. En 2010, leurs coûts représentaient respectivement 14% et 13,5% de leur produit intérieur brut (PIB), selon une comparaison menée par l'OCDE en 2011.

Le Canada, en revanche, se trouve à l'autre bout du spectre. Les dépenses de ses régimes publics de retraite représentaient seulement 5% de son PIB en 2010.

«Le coût des pensions publiques au Québec et au Canada est parmi les moins élevés des pays industrialisés», conclut un rapport comparatif de la Régie des rentes du Québec tout juste publié.

Ce contraste s'explique notamment par la plus grande place que le Canada accorde aux régimes de retraite privés. Il vaut d'ailleurs la peine de démêler les différents paliers de prestations de retraite, pour mieux s'y retrouver.

Tous les Canadiens de 65 ans et plus ont droit à la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), à l'exception des personnes gagnant approximativement plus de 108 000$ par année. Les plus démunis (revenus annuels de moins de 16 000$ environ excluant cette pension) ont aussi droit au Supplément de revenu garanti.

Environ 1,1 million de Québécois touchent la PSV, et près de la moitié de ceux-ci ont aussi droit au Supplément, pour vous donner un ordre de grandeur. C'est ce programme que le gouvernement Harper songe à modifier, par courage ou par amnésie politique.

(Rappelez-vous le célèbre «Goodbye Charlie Brown!» lancé par la retraitée Solange Denis à Brian Mulroney, qui planifiait de désindexer les pensions de vieillesse.)

Les salariés québécois qui ont contribué au Régime des rentes du Québec reçoivent, en plus, un revenu de base qui équivaut au quart de leur gain de travail, jusqu'à un certain plafond. À l'extérieur du Québec, c'est le Régime de pensions du Canada qui verse cette rente aux travailleurs.

Certains travailleurs (une minorité) reçoivent, en plus, des prestations de retraite du régime mis en place par leur employeur, et auquel ils ont cotisé année après année.

Les économies des Québécois, dans leur régime enregistré d'épargne retraite (REER) ou dans leur compte d'épargne libre d'impôt (CELI), quand il y en a (...), complètent le tout.

Ce sont les prestations des régimes complémentaires de retraite qui sont actuellement les plus menacées, avec la chute des taux d'intérêt à long terme et les rendements erratiques en Bourse. Les déficits actuariels ont explosé ces dernières années.

Les pressions exercées sur le régime public de retraite du Canada sont nettement moindres, en comparaison. Lorsque le baby-boom fera gonfler les rangs des retraités à leur sommet, en 2030, les dépenses du programme de la Sécurité de la vieillesse représenteront 3,16% du PIB du pays contre 2,37% en 2011, selon le rapport le plus récent de l'actuaire en chef du Canada. Ensuite, ce pourcentage baissera!

Il n'y a aucun péril à maintenir l'âge de la retraite à 65 ans. Nada. Surtout qu'en repoussant l'âge auquel les Canadiens peuvent toucher leur pleine pension, le gouvernement pénaliserait les travailleurs épuisés qui n'ont plus le goût ni l'énergie de poursuivre. Besogner dans un échafaudage par moins 15 degrés, rester debout à sa caisse toute la journée, ce n'est pas la même chose que de mener un mandat stimulant, tranquillement assis devant son ordinateur.

Tout n'est pas parfait, loin de là. Avec moins de travailleurs et plus de retraités qui vivent plus vieux, les contribuables devront assumer des charges de plus en plus lourdes. Surtout, la croissance du pays sera menacée par des pénuries de travailleurs.

À son dernier budget, Québec estimait que les entreprises de la province auront 740 000 postes à combler au cours des cinq prochaines années. C'est énorme!

Il faut user de mesures d'incitation pour que les Canadiens qui le souhaitent restent au travail. Inviter les entreprises à se montrer plus flexibles et à favoriser le mi-temps. Hausser les crédits d'impôt pour les travailleurs de 65 ans et plus. Bonifier les prestations de ceux qui repoussent leur départ.

Bref, faire miroiter une carotte plutôt que de manier le bâton.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca