Au Québec, tout comme ailleurs au Canada, la juxtaposition des mots «santé» et «économie» fait grincer des dents. Ce sont des réalités incompatibles, qu'il ne faut surtout pas mélanger.

Je pense exactement le contraire. Ça manque d'économie en santé. Si on injectait une bonne dose de pensée économique dans la façon dont le système de santé est conçu et géré, je suis convaincu qu'il fonctionnerait beaucoup mieux.

On sait pourquoi l'intrusion de l'économie fait peur. Le système de santé est un service essentiel. On craint que les considérations économiques, que l'on associe à l'entreprise privée, à la recherche de profit, aux activités marchandes, corrompent le système et que cela pénalise des citoyens, surtout parmi les plus vulnérables.

L'autre crainte vient d'une confusion sémantique entre le singulier et le pluriel. Au pluriel, les économies, ça fait penser aux contraintes budgétaires. En fait, c'est la logique comptable. Au singulier, l'économie, c'est la science économique, dont l'objet premier est de définir la meilleure utilisation possible des ressources limitées dont on dispose.

Dans le cas précis du système de santé québécois, la contribution de l'approche économique, ce n'est pas de dire où couper, mais plutôt de faire les meilleurs choix possibles, en qualité et en quantité, avec les ressources que nous choisissons d'y consacrer.

Il est vrai que le contrôle des dépenses de santé est un défi. Il ne s'agit pas vraiment de les réduire, mais plutôt d'atténuer leur rythme de croissance. Le 6% actuel n'est pas soutenable. C'est plus que la croissance de la richesse. Les dépenses de santé absorbent actuellement 40% des ressources gouvernementales. Mais cette part augmente, au détriment des autres missions de l'État. Jusqu'où voulons-nous et pouvons-nous aller? Aux deux tiers, comme le prédisent plusieurs projections?

Mais il y a un autre défi, autrement plus exigeant. Cette injection massive de fonds ne s'accompagne pas d'une amélioration perceptible de la qualité et de la quantité des soins. On observe des progrès dans certaines chirurgies, mais est-ce que les délais se réduisent, est-ce que l'accès s'améliore? Où va donc l'argent?

Le Canada est au cinquième rang des pays de l'OCDE pour l'importance de ses dépenses en santé. À 11,4% du PIB, il est loin derrière les États-Unis, mais juste après l'Allemagne, la France et le Danemark. Mais pour la qualité de ses soins, le Canada n'est pas dans le «top 5». Une étude de l'OCDE sur la qualité, l'accessibilité, les déterminants de la santé, le classe un peu en bas du quart supérieur du classement.

Quelque chose ne fonctionne donc pas. Pas parce que nos professionnels de la santé manquent de compétence et de dévouement. Pas parce qu'on n'a pas fait d'efforts de contrôle: au nom de l'efficience et de l'efficacité, on coupe depuis un quart de siècle, on rationne, on rogne sur les seringues et sur le ménage des toilettes.

Le ministre actuel de la Santé, Yves Bolduc, croit qu'on peut résoudre cette impasse par une meilleure gestion. Sa méthode Toyota peut permettre de faire des progrès. Mais jamais assez pour résoudre l'impasse. Pour équilibrer notre système de santé, et assurer sa pérennité, il faudra de grandes réformes, que le ministre refuse d'envisager.

Il faut dire que celles-ci sont d'une autre nature. Il s'agit de réformes systémiques, pour repenser les mécanismes d'allocation des ressources qui relèvent davantage de la planification économique.

Cela explique sans doute pourquoi, depuis quelques années, les initiatives de réforme prometteuses semblent venir du ministère des Finances plutôt que de celui de la Santé. Et cela suggère aussi que la règle non écrite voulant qu'un ministre de la Santé soit obligatoirement un médecin devrait être revue.