Appartient-il à la loi - donc aux policiers, aux juges et aux garde-chiournes! - de sacraliser une réalité historique, la rendant ainsi intouchable? Exprimée de cette façon, la question amène une réponse presque automatique: non, bien sûr. Pourtant, dans beaucoup de pays, surtout européens, les lois dites mémorielles s'accumulent.

La plus récente a reçu, lundi, l'imprimatur du Sénat français.

Elle porte sur le génocide arménien (1915-1916) dont le bilan officiel est d'un million et demi de victimes. L'affaire a déclenché une crise diplomatique majeure avec la Turquie, qui nie à la fois l'intention génocidaire et le bilan: Ankara ne concède «que» le massacre de 500 000 Arméniens.

Cependant, l'essentiel est qu'on devrait avoir compris que de telles lois entrent en collision avec la recherche académique, comme le plaident de très nombreux historiens. Et avec la liberté d'expression, ce qui est au moins aussi fâcheux.

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La Shoah a été la première tragédie historique protégée par la loi (dans au moins une demi-douzaine de pays, dont l'Allemagne) contre les discours la niant ou minimisant son importance.

En France, les législateurs, agissant sans doute par intérêt électoraliste autant que par dévotion à l'Histoire, se sont par la suite intéressés à l'esclavage, puis au colonialisme.

Déjà, on a découvert là un premier danger: la géométrie de la «vérité» historique est en effet variable. Ainsi, la loi Taubira (sur l'esclavage) a été accusée de minimiser les traites arabe et intra-africaine. Et la Loi du 23 février 2005 sur la présence française outre-mer a provoqué une polémique stridente sur les mérites de celle-ci.

La sacralisation d'autres événements historiques déclencherait sûrement aussi la controverse. Les génocides cambodgien et rwandais, par exemple, ont déjà leurs négationnistes. De sorte que se présenterait alors un autre écueil: comment décider des victimes de l'Histoire à mettre à l'abri de l'examen critique, fondé ou non?

Mais revenons à l'essentiel.

Le concept même de liberté d'expression n'existe pas dans le but de protéger les discours intelligents, gentils et consensuels. Sa vigueur dans une société donnée se mesure au contraire à la stupidité, la vilénie et l'excentricité de ceux qu'elle tolère... idéalement jusqu'au point où ces discours atteignent l'incitation à la violence. Auquel cas ils relèvent du Code criminel.

Le Canada n'a pas de lois mémorielles de type européen*. Et la possibilité qu'une telle loi nous donnerait de neutraliser quelques crackpots ne vaut certainement pas l'instauration ici d'une vérité d'État.

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*Le Canada dispose cependant d'une ribambelle de commissions des droits, fédérale et provinciales, qui jouent parfois un rôle comparable. Le fameux négationniste Ernst Zündel a été épinglé par l'une d'elles avant d'être condamné et emprisonné en Allemagne.