Peu d'objets sont aussi impressionnants qu'un grand navire. Peu de professions ont une tradition et un prestige aussi considérables que les métiers de la mer. Peu de projets de vacances font rêver autant que la croisière, en particulier sur la Méditerranée.

C'est ce qui explique en partie l'intérêt que soulève le tragique accident du Costa Concordia.

Mais l'affaire présente une autre caractéristique intrigante: l'apparent amateurisme qui, selon les témoignages entendus à ce jour, a conduit à l'accident et à l'évacuation bâclée. En clair: l'événement lui-même est incompréhensible; qu'il ait fait des morts et des disparus l'est encore davantage.

Il devra y avoir enquête sur plusieurs aspects de l'affaire.

Un. Les bateaux récents comme l'Oasis of the Seas font aujourd'hui 220 000 tonneaux (presque deux fois le Concordia et cinq fois le Titanic), s'élèvent à 65 mètres au-dessus de l'eau et logent 6000 personnes! Ces monstres marins sont-ils manoeuvrables? Et peuvent-ils être évacués en 30 minutes, comme le veut la réglementation internationale? Dans ce cas-ci, on est loin d'y être arrivé.

Deux. Justement: pourquoi? Les passagers n'avaient pas fait d'exercice d'évacuation. Et beaucoup d'entre eux taxent l'équipage d'amateurisme. Les armateurs du navire (Costa Croisières, une filiale de Carnival) ont-ils des règles strictes en matière d'embauche et de formation du personnel? En particulier de leurs... capitaines?

Trois. Celui du Costa Concordia, Francesco Schettino, est accusé d'homicide, de l'équivalent marin de la conduite dangereuse et d'abandon de navire... Comment a-t-il pu, même pour faire de l'esbroufe, heurter le roc sur la mer probablement la mieux cartographiée au monde, sillonnée depuis 11 000 ans? Les armateurs, encore eux, ne balisent-ils pas la navigation de leur flotte?

Et peut-on imaginer un pilote qui ferait voler son Airbus 380 en rase-mottes au-dessus des chaumières pour faire un petit coucou à mère-grand? ...

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Les gens de mer sont réputés superstitieux.

Or, signe de malheur, la traditionnelle bouteille de champagne ne s'est pas brisée, en 2006, lors du lancement du Concordia. (Et le fait que Jean-Luc Godard y ait tourné une partie de son inextricable rébus, Film Socialisme, n'est peut-être pas un gage de chance non plus!)

Le navire a déjà subi des avaries à Palerme, en 2008. Cette fois, l'accident survient presque exactement un siècle après le naufrage du Titanic, en 1912, la plus emblématique catastrophe maritime de l'Histoire. Le naufrage du Costa Concordia pourrait quant à lui être la plus coûteuse - sans parler des vies sacrifiées, évidemment. La facture atteindra vraisemblablement le milliard de dollars (US), une fois assumés les coûts de récupération, de compensation, de ventes perdues et de forfaits soldés.

Tout cela mérite certainement de solides explications.