Les provinces ont sans doute raison de critiquer la façon cavalière dont Ottawa leur a annoncé les nouveaux paramètres des transferts pour la santé - le 20 décembre dernier, par un communiqué du ministre des Finances, avec la mention «à prendre ou à laisser». Mais les Canadiens devraient remercier Stephen Harper de leur avoir épargné le psychodrame d'une nouvelle rencontre fédérale-provinciale.

Que le premier ministre du Canada rencontre ou non ses homologues provinciaux, qu'il négocie ou non avec eux, le résultat est connu d'avance: les provinces en veulent toujours plus et, comme le système de santé est une vache sacrée au Canada, elles accuseront nécessairement le gouvernement fédéral de ne pas en faire assez, peu importe le nombre de milliards pompés année après année dans des réseaux défectueux qui refusent de se réformer.

Quiconque a suivi les dernières rencontres au sommet sur le financement de la santé sait qu'elles sont divertissantes pour les médias, mais aussi prévisibles qu'inefficaces. Stephen Harper le sait, et contrairement à son prédécesseur, Paul Martin, il n'a pas le temps et encore moins la patience de s'asseoir pendant des jours et des nuits à une table avec 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux qui veulent tous plus de fric.

S'il a prôné l'harmonie et la réconciliation avec les provinces à son arrivée au pouvoir, en 2003, Paul Martin a d'ailleurs lui aussi changé de ton après quelques rencontres épiques. Si bien que, en 2005, l'ancien premier ministre libéral soupirait d'exaspération lorsqu'on lui parlait des provinces, dont il critiquait même ouvertement le «chialage».

Il faut dire qu'il l'avait cherché, notamment en septembre 2004, en conviant ses homologues à une grande rencontre qui devait accoucher d'une «solution pour une génération» en santé, augmentant du coup les attentes des provinces, alléchées par les surplus budgétaires fédéraux de l'époque.

L'harmonie bon enfant souhaitée par Ottawa avait rapidement tourné en foire d'empoigne derrière des portes closes, au point où M. Martin et Gary Doer (alors premier ministre du Manitoba) avaient failli en venir aux mains après s'être copieusement insultés devant leurs collègues.

Les provinces avaient obtenu gain de cause financièrement, en échange de quoi elles s'étaient engagées à mettre leur expérience en commun et à réduire les délais d'attente dans leur réseau respectif. Cet objectif, faut-il le rappeler, n'a pas été atteint, mais le fédéral avait l'impression d'imposer une certaine surveillance aux provinces, qui, elles, avaient réussi à arracher plus d'argent à Paul Martin.

Jean Chrétien, qui se plaignait lui aussi de l'appétit insatiable des provinces, n'aimait pas ce genre de rencontre, mais il s'y est astreint à quelques reprises, cherchant chaque fois à assujettir le financement à ses «standards nationaux».

Les grandes réunions au sommet, très peu pour Stephen Harper. Le chef conservateur n'a jamais caché que sa vision du fédéralisme, contrairement à celle des libéraux, ne passe pas par les urgences ou les garderies. Le gouvernement fédéral, selon M. Harper, doit se concentrer sur ses responsabilités: la défense, les affaires étrangères et l'économie nationale.

Exit, donc, les «standards nationaux» en santé, la reddition de comptes des provinces et les programmes nationaux dans ce domaine. Les provinces auront un financement stable et prévisible, mais pas question, dit M. Harper, de maintenir les augmentations incessantes des transferts. Les conservateurs ne manquent pas de rappeler, avec raison, que les libéraux avaient réduit les transferts en santé et en éducation pour atteindre l'équilibre budgétaire dans les années 90 alors qu'eux s'engagent à les maintenir (tout en limitant leur progression).

M. Harper pousse toutefois un peu le bouchon en laissant croire qu'il fait une fleur aux provinces en ne leur imposant pas de conditions. Ce n'est pas une faveur, c'est simplement le respect des compétences constitutionnelles.

Les provinces rechignent, évidemment, mais elles n'ont pas su faire la preuve que la croissance des transferts consentis par le gouvernement Martin a donné les résultats attendus.

Au Québec, une bonne charge contre la décision «unilatérale et inacceptable» du fédéral ne peut faire de mal à l'image malmenée de Jean Charest, mais celui-ci serait plus crédible s'il ne s'était pas empressé, en 2007, de convertir les 950 millions du déséquilibre fiscal en baisses d'impôts plutôt que de les investir dans le secteur de la santé.

Les partis de l'opposition seront toutefois d'accord avec le gouvernement Charest et dénonceront eux aussi l'«intransigeance» du gouvernement Harper.

Il ne m'a fallu que quelques minutes pour obtenir cette réaction écrite de François Legault, hier après-midi:

«Nous dénonçons le comportement autoritaire du gouvernement fédéral. Sans avertissement il a imposé sa vision des choses, il n'a pas créé les conditions nécessaires à une franche discussion avec les provinces sur la santé. Dans tous les scénarios évoqués par les experts, la croissance des dépenses de santé dépassera celle de la croissance économique. De plus, le Québec doit assurer un rôle de leader dans ce débat avec le gouvernement fédéral. Est-ce que M. Harper croit qu'on peut limiter la croissance des dépenses en santé à 3% et, si oui, comment?»

Pour une rare fois, MM. Charest et Legault seront d'accord.