Montréal a le blues. Et il n'y a aucune petite granule qui lui remontera le moral.

Coup sur coup, cette semaine, deux géants pharmaceutiques ont annoncé des coupes importantes.

La société française Sanofi supprime une centaine d'emplois en recherche et en développement chez sa filiale canadienne, Sanofi-Aventis Canada. L'essentiel des postes visés se trouve à son établissement de Laval.

De son côté, le groupe américain Johnson & Johnson ferme le centre de recherche spécialisé dans les produits hygiéniques attenant à son usine d'Hochelaga-Maisonneuve. Quelque 125 professionnels y travaillent.

Ces réductions d'effectif reflètent la volonté des multinationales de la santé de réduire leurs coûts à l'échelle mondiale. Leurs brevets expirent, et ces entreprises ont de plus en plus de mal à remplacer leurs médicaments-vedettes, les «blockbusters». Les molécules sont moins prometteuses. De plus, elles coûtent de plus en plus cher à développer et à mettre en marché.

En réaction, les géants pharmaceutiques sous-traitent leur recherche en confiant des mandats à des firmes spécialisées, plutôt que de tout développer à l'interne. La fermeture en 2010 du laboratoire de recherche de Merck à Kirkland, où travaillaient 180 scientifiques et laborantins, s'inscrit aussi dans cette logique.

La tendance est mondiale. Mais cela ne rend pas la chose plus facile à avaler pour le Québec. Surtout que la cinquantaine de biotechs de la province n'a pas vraiment profité jusqu'ici de la manne de la sous-traitance.

Ces PME crient famine. Elles ont beaucoup de mal à attirer des capitaux, les financiers étant déçus par les rendements historiques des biotechs. Même la vedette Theratechnologies, qui a vu son médicament Egrifta approuvé par la FDA aux États-Unis en 2010, a dû licencier une soixantaine de salariés - les deux tiers de son effectif! - pour préserver ses liquidités.

Québec a historiquement misé gros sur le secteur pharmaceutique, perçu comme porteur d'avenir. La province a privilégié les fabricants de médicaments dits d'origine par opposition aux fabricants de médicaments génériques.

À l'époque, cela collait à la répartition géographique des établissements. Les fabricants de médicaments d'origine étaient concentrés au Québec, surtout dans l'ouest de l'île de Montréal. C'est nettement moins vrai aujourd'hui, bien qu'il soit difficile d'obtenir un portrait à jour de la situation, tant les choses changent vite.

L'association canadienne Rx&D affirme que le Québec compte 28 sociétés pharmaceutiques intégrées qui emploient 9000 personnes. Sa porte-parole n'est toutefois pas en mesure de dater ces données. Cela colle toutefois avec le portrait de l'industrie établi par le gouvernement du Québec pour 2008.

En 2010, toutefois, le Québec ne dénombrait plus que 24 entreprises et 8100 emplois directs, selon le ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation. Quelle que soit la source, le recul observé au cours des cinq dernières années représente une tendance lourde.

En comparaison, les sociétés de médicaments génériques et de fabrication à façon employaient près de 5000 personnes au Québec l'an dernier.

Pour encourager la recherche et l'innovation au Québec, le gouvernement a instauré de généreux crédits d'impôt à la R&D. La province a aussi mis en place la fameuse «règle de 15 ans».

Selon cette règle, le gouvernement rembourse le médicament d'origine pendant 15 ans à partir de son inscription sur la liste des médicaments de la province, même si son brevet expire avant. Ce faisant, le Québec se prive d'économies importantes.

Cette politique industrielle a longtemps été payante pour le Québec. En 2005, une étude avait calculé que la «règle du 15 ans» rapportait 37 millions en revenus au gouvernement tandis que son coût annuel s'élevait à 25 millions de dollars.

Mais ce n'est vraisemblablement plus le cas aujourd'hui, selon l'un des coauteurs de cette étude, André Lemelin, que mon collègue Martin Primeau avait interrogé à l'automne.

Les coûts de cette mesure explosent, révèle le dernier budget du gouvernement du Québec. En 201 012, ils atteindront 193 millions de dollars, contre 162 millions au cours de l'année financière précédente.

Plus les brevets des médicaments viennent à échéance - comme le Lipitor, qui abaisse le niveau de cholestérol dans le sang -, plus la politique d'encouragement aux sociétés innovantes coûte cher aux contribuables. Et avec le vieillissement de la population, tous les ingrédients sont réunis pour un dérapage spectaculaire.

Il faudrait que Québec reprenne l'exercice pour connaître le coût net de cette mesure. Mais le gouvernement prétexte que l'absence de données actualisées de Statistique Canada et la complexité de l'algorithme utilisé l'en empêchent. C'est ce qu'on appelle jouer à l'autruche.

Malgré tout, le gouvernement maintient cette politique industrielle! Entre cela et se croiser les doigts, il n'y a pas grand différence. Une telle désinvolture dans la gestion des fonds publics, à une époque où le gouvernement demande à tous les Québécois de se serrer la ceinture, est choquante.

Le principe devrait être le suivant. Si Québec est incapable de faire la démonstration qu'une politique industrielle rapporte plus qu'elle ne coûte à la province, il devrait l'abolir. Point à la ligne. D'autant que ce n'est pas la seule façon d'encourager la R&D en santé au Québec.

Si le gouvernement veut inciter les pharmaceutiques à mener des projets de recherche au Québec, les crédits d'impôt peuvent être bonifiés ou modulés de façon à aider cette industrie en particulier. Ce faisant, on ne privilégie pas un secteur de l'industrie au détriment de l'autre. Toutes les pharmaceutiques qui font de la recherche, même les génériques (car elles en font tout de même), pourront en profiter.

Quand un médicament atteint sa date d'expiration, on n'hésite pas à le jeter à la poubelle. Pourquoi en serait-il différent d'une politique industrielle périmée?

Si les multinationales de la santé revoient leurs façons de faire, il n'y a aucune raison pour que le gouvernement du Québec n'en fasse pas autant.