Après avoir forcé les sociétés d'État à remanier leur conseil d'administration pour que les femmes et les hommes y soient également représentés, le gouvernement du Québec s'attaque au secteur privé.

Le Plan Nord paraît modeste, en comparaison de ce défi. Enquête après enquête, le constat est implacable. Les femmes représentent moins de 15% des administrateurs des grandes entreprises du pays. Et les sociétés québécoises ne font pas meilleure figure.

Mais plutôt que d'imposer cette parité, contrairement à ce que le premier ministre Jean Charest avait fait en 2006, Québec privilégie cette fois la persuasion.

Personne ne peut s'opposer à pareille initiative, comme personne n'est contre la tarte aux pommes. Mais espérer des résultats rapides? Même avec Monique Jérôme-Forget qui assène des coups de sacoche aux dirigeants récalcitrants, ce n'est pas fait.

La ministre de la Condition féminine, Christine St-Pierre, a convaincu son ex-collègue au cabinet de quitter le Mexique où elle migre tous les hivers pour une petite semaine de gadoue montréalaise. Et à entendre l'ancienne ministre des Finances, si elle a enfilé ses bottes d'hiver, c'est parce que la cause lui tient vraiment à coeur.

Monique Jérôme-Forget coprésidera la nouvelle Table des partenaires influents avec Guy Saint-Pierre, ancien grand patron de SNC-Lavalin.

«C'est clair qu'il y a toujours un plafond de verre» ou, si vous préférez, un «plancher collant», a-t-elle ironisé avec son sens de la formule proverbial.

Le nom de ce comité est vague en apparence. Mais sa mission est précise: atteindre la parité, dans les conseils d'administration et au sein des hautes directions.

«Je suis confiante que nous verrons des progrès prochainement», a dit Christine St-Pierre.

La ministre s'est abstenue de fixer un échéancier pour atteindre une représentation équitable qu'elle situe dans une fourchette de 40% à 60% d'administratrices. Mais au rythme actuel, il faudra bien 50 ans avant d'atteindre le chiffre magique du 50%.

Pour faire bouger les choses, le nouveau comité compte étudier les meilleures pratiques avec l'aide du professeur Stéphane Rousseau, titulaire de la chaire en gouvernance et en droit des affaires à l'Université de Montréal. Cela, c'est pour la politique publique.

Concrètement, toutefois, ce comité compte user de son influence pour convaincre les dirigeants d'entreprise de remanier hautes directions et conseils d'administration. En les appelant un par un!

«On tordra quelques bras si nécessaires», dit Monique Jérôme-Forget.

L'expression «partenaires influents» n'est pas galvaudée. Les membres de ce comité sont des gens d'affaires qui ont brillamment réussi.

On y trouve Yvon Charest (Industrielle Alliance), Jacynthe Côté (Rio Tinto Alcan), Paule Gauthier (Stein Monast), Serge Godin (CGI), Isabelle Hudon (Financière Sun Life), Hubert T. Lacroix (Radio-Canada), Monique Leroux (Mouvement Desjardins), Brian Levitt (Osler).

Ces dirigeants forcent l'admiration. Cependant, leurs organisations ne sont pas toutes exemplaires. En fait, elles ne sont pas si différentes de la société qui les entoure.

Monique Leroux se démarque. Depuis qu'elle a pris la tête du Mouvement Desjardins, en 2008, le pourcentage de femmes chez les cadres supérieurs est passé de 20% à 31%.

On trouve aussi une proportion intéressante de femmes à la haute direction de la Financière Sun Life au Canada et à l'échelle mondiale (le tiers dans les deux cas). Le conseil d'administration du groupe ne compte toutefois que 2 femmes sur 14 membres.

L'Industrielle Alliance fait mieux, avec 3 administratrices sur un conseil de 14 membres, soit une proportion (21%) nettement supérieure à la moyenne québécoise.

Le quart des administrateurs de Radio-Canada sont des femmes. Son PDG, Hubert T. Lacroix, n'y peut rien: c'est le ministre du Patrimoine qui nomme les administrateurs de cette société d'État.

Cependant, Hubert T. Lacroix préside le conseil de Fibrek - un cumul d'autant plus surprenant que ce producteur de pâte fait actuellement l'objet d'une offre d'achat hostile. On ne compte qu'une seule femme au conseil de Fibrek (13%).

La situation est comparable chez CGI. Cette société-conseil compte 2 femmes à son conseil de 13 membres (15%). Or, Serge Godin siège au conseil de cette entreprise qu'il a cofondée depuis 1976!

De son côté, Jacynthe Côté est la seule femme à la direction du producteur d'aluminium Rio Tinto Alcan. Le conseil de sa société mère, Rio Tinto, compte 2 femmes sur 14 membres (14%).

Tout cela pour dire que ce comité n'a pas nécessairement toute la crédibilité espérée pour faire du «tordage de bras».

Les conseils d'administration se renouvellent très lentement. Les mandats des administrateurs, de plusieurs années, ne viennent pas tous à échéance en même temps. Et les vieux réflexes sont solidement ancrés.

Oui, il y a des femmes qui hésitent à accepter une nomination parce qu'elles refusent de sacrifier leur vie de famille. Mais de nombreuses dirigeantes compétentes ne reçoivent aucun coup de fil, étant hors circuit. «Elles n'ont pas nos contacts et nos réseaux d'affaires, tout simplement», dit Guy Saint-Pierre.

À ma connaissance, aucun gouvernement n'a réussi à faire évoluer les choses de façon marquée sans une loi contraignante.

C'est ce que la Norvège a fait. Depuis 2008, toutes ses entreprises à capital ouvert doivent compter au moins 40% de femmes à leur conseil.

C'est ce que le Québec a fait en donnant cinq ans à ses 22 sociétés d'État pour atteindre la parité à leurs conseils d'administration. Si neuf de ces sociétés n'ont pas encore atteint cet objectif, toutes s'en approchent.

Penser qu'on va récurer ce «plancher collant» grâce à ce seul pouvoir de persuasion tient, je le crains, de la pensée magique.

Remarquez, je ne demande qu'à être contredite. Car légiférer l'importance des femmes à la haute direction des entreprises du secteur privé est un moyen intrusif et controversé qui répugne d'ailleurs à bien des femmes.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca