Si vous croisez Pierre Turgeon, Theoren Fleury, Brendan Shanahan ou tout autre membre de la formation de 1987 d'Équipe Canada junior et que vous leur demandez de vous raconter ce qu'ils ont vécu il y a 25 ans aujourd'hui, tirez-vous une chaise. L'histoire sera longue.

Elle le sera tout autant, mais sous des angles différents, si elle vous est racontée par les Fedorov, Mogilny, Malakhov ou Konstantinov qui défendaient les couleurs de l'ancienne Union soviétique.

Qu'est-il donc arrivé le 4 janvier 1987?

Si l'on se fie à la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF), il n'est rien arrivé. Rien de rien! Car il ne reste plus une trace officielle de ce duel Canada-URSS. «Pas même une copie chiffonnée de la feuille de pointage», comme le souligne le journaliste et écrivain Gare Joyce, qui a immortalisé cette partie, et tout ce qui l'a précédé et qui l'a suivi, dans un livre passionnant intitulé When the lights went out.

Mais bien que l'IIHF et, à plusieurs égards, Hockey Canada aient tenté de cacher cet oeil au beurre noir qui a marqué et marquera pour toujours l'histoire du hockey international, personne n'a oublié ce match. Ou plutôt la bagarre générale qui a éclaté au moment où le Canada menait 4-2 en fin de deuxième période. Une deuxième période qui n'a jamais été complétée. Pas plus que la rencontre d'ailleurs, qui a été finalement annulée par les bonzes de la Fédération internationale pendant que les joueurs des deux équipes pansaient leurs plaies, des nez fracturés et des poings écorchés, dans des vestiaires transformés en salles d'urgence.

«Je me souviens de tout ce qui est arrivé. Mais après 25 ans, je ne comprends toujours pas entièrement pourquoi et comment tout ça est arrivé. Ne me demande toutefois pas avec qui je me suis battu. Je ne le savais pas il y a 25 ans, et je ne le sais pas plus aujourd'hui», dit Brendan Shanahan.

Vice-président responsable de la sécurité des joueurs de la LNH, Brendan Shanahan allait célébrer ses 18 ans quelques semaines après ce match historique. Un match que le Canada devait gagner par cinq buts pour permettre à Shanahan et à ses coéquipiers de se couvrir d'or.

Disqualifiés du tournoi, les Canadiens sont rentrés bredouilles au pays, les officiels ayant finalement couronné dans l'ordre et par défaut: les Finlandais, les Tchécoslovaques et les Suédois.

En plus, les Canadiens ont été accueillis au pays par des volées de critiques. Certaines d'entre elles pour avoir affiché autant de brutalité. D'autres, plus dures encore, pour être demeuré à l'écart de la bagarre, comme l'a appris à ses dépens le Québécois Pierre Turgeon. Des critiques qui n'ont toutefois pas empêché «Sneaky Pete» d'être sélectionné au tout premier rang de l'encan amateur de 1987 par les Sabres de Buffalo, tout juste devant Brendan Shanahan (New Jersey) et Glen Wesley (Boston), deux de ses coéquipiers au Championnat mondial junior.

Plongés dans le noir

De toutes les images liées à ce match passé à l'histoire pour de bien mauvaises raisons, de tous les souvenirs ancrés dans la mémoire des amateurs de hockey, l'aréna de Piestany, petite localité de la Slovaquie qui faisait toujours partie de la Tchécoslovaquie il y a 25 ans, plongé dans le noir demeure l'un des faits marquants.

«J'avais les mains pleines. Je m'occupais de mes affaires, mais je voyais ce qui arrivait autour aussi. Ce n'était pas beau. Quand les lumières se sont éteintes, j'ai eu peur. Je me suis dit que ça pourrait vraiment devenir dangereux puisque des coups plus sournois encore pourraient être donnés. Et il y en avait déjà eu beaucoup. Je me suis alors dit d'y aller à fond tout en restant sur mes gardes, car tout était maintenant permis», raconte Shanahan, avec qui j'ai partagé les souvenirs de cette partie lors d'une récente conversation.

Et des coups vicieux, il s'en est donné: des coups de poing sournois, des coups de tête, des coups de bouclier assénés par le gardien canadien Shawn Simpson au visage de son vis-à-vis soviétique Vadim Privalov. Sans oublier Stéphane Roy, le petit frère de Patrick, qui s'est retrouvé contre deux Soviétiques qui ne l'ont pas ménagé.

«Nous avons encaissé bien des coups, les Soviétique aussi. Mais Stéphane a été le plus sérieusement touché», se rappelle Shanahan.

Reprise impossible

Brendan Shanahan refuse d'assumer l'entière responsabilité de cette triste fin de tournoi en 1987. Mais il est prêt à en prendre une partie.

«J'ai partagé le vestiaire des Red Wings à Detroit avec Sergei Fedorov et j'ai compris certaines choses avec le temps. Les Soviétiques avaient connu un tournoi misérable. Ils étaient victimes d'attaques de leur entraîneur (Vladimir Vasiliev) et même privés de nourriture. Ils devaient sauver la face d'une façon ou de l'autre», dit Shanahan, avant d'admettre avoir été déstabilisé par l'attitude des Soviétiques.

«Je ne suis pas fier de ce qui s'est passé. Mais je n'ai pas honte non plus. Dès la première séquence du match, il y a eu des coups sournois échangés des deux côtés et l'arbitre laissait tout passer. À un moment donné, tout a explosé. Il faut se rappeler que le Rideau de fer n'était pas encore tombé. C'était la guerre froide entre l'Est et l'Ouest. En politique comme au hockey», plaide Shanahan, qui est convaincu que pareil incident ne pourrait plus jamais survenir.

«Les arbitres sont meilleurs aujourd'hui, l'officiel norvégien Hans Ronning avait retraité au vestiaire pendant la bagarre générale au lieu de prêter main-forte à ses juges de lignes. Je ne savais rien des Soviétiques et des autres joueurs que je croisais là-bas il y a 25 ans. Aujourd'hui, ils se connaissent tous. Du moins, de réputation. Ça minimise les risques», assure Shanahan, qui est déçu d'une chose.

«Nous étions assurés d'une médaille avant ce match. Perdre l'or et rentrer bredouilles a donc été difficile à accepter. Mais c'est l'impact sur la réputation de l'équipe qui m'a le plus touché. Tous les joueurs de la formation de 1987 - exception faite du gardien Shawn Simpson, qui a été remplacé en cours de tournoi par le Québécois Jimmy Waite - ont atteint la Ligue nationale. Nous formions une très bonne équipe - dirigée par Bert Templeton et Pat Burns, qui était son adjoint - et n'avons jamais obtenu cette reconnaissance à cause de cette bagarre.»

Photo: archives AP

Il y a 25 ans aujourd'hui, le hockey international était marqué par une bagarre générale en deuxième période du match entre les Canadiens et les Soviétiques.