Le père Noël est passé plus tôt pour le ministre des Finances du Québec. Et le cadeau qu'il a déposé sous le sapin de Raymond Bachand était attendu par tous les Québécois, toutes couleurs politiques confondues.

Outre l'incompréhension devant le choix du nouveau coach du Canadien de Montréal, rares sont les sujets qui font l'unanimité au Québec. L'opposition aux visées centralisatrices d'Ottawa dans les valeurs mobilières est de ceux-là. Et cela, même si l'attachement émotif à cette cause est aux antipodes des passions déchaînées par le hockey.

Dans un avis unanime, la Cour suprême du Canada a invalidé le projet de loi qui devait créer une commission des valeurs mobilières unique. Elle s'est ainsi rendue aux arguments du Québec, de l'Alberta, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick, quatre provinces qui s'opposent farouchement aux visées centralisatrices du gouvernement de Stephen Harper.

Ces visées, ce sont celles du ministre fédéral des Finances. Depuis sa nomination, Jim Flaherty fait une fixation sur son projet de commission unique, qu'il voit dans sa soupe. Ainsi, il n'a lésiné sur aucun moyen pour atteindre son objectif, dont la création d'un comité d'experts qui, sans surprise, s'est rendu à ses propres conclusions.

Jim Flaherty a joué quitte ou double en demandant à la Cour suprême de se prononcer sur son projet de loi. Sa défaite est sans équivoque. Neuf juges ont assimilé sa loi à une «intrusion massive par le Parlement» dans la réglementation des valeurs mobilières.

Jim Flaherty espérait convaincre le plus haut tribunal du pays de la faiblesse du système réglementaire du Canada, un système décentralisé qui ne conviendrait plus au monde tel qu'on le connaît depuis la crise financière de 2008.

En parallèle, chaque nouveau cas de criminel à cravate donnait des munitions au ministre, qui imputait ces malversations à un système réglementaire relâché. Comme si Bernard Madoff n'avait pas sévi pendant des années sous le nez de la Securities&Exchange Commission des États-Unis!

«Le Canada n'a pas établi que le domaine des valeurs mobilières a évolué au point qu'il doive dorénavant être réglementé en vertu d'un chef de compétence fédérale, est-il écrit dans cet avis.

«La Loi se préoccupe principalement de la réglementation courante de tous les aspects des contrats portant sur les valeurs mobilières, y compris la protection du public et la compétence professionnelle dans les provinces. Ces matières demeurent essentiellement des enjeux provinciaux intéressant la propriété et les droits civils dans les provinces.»

Cet avis ne représente pas une grande surprise. Les cours d'appel du Québec et de l'Alberta qui ont examiné ce même projet de loi ont aussi jugé qu'il ne respectait pas le partage des compétences établi dans la Loi constitutionnelle de 1867.

Mais cet avis n'en revêt pas moins une importance capitale. «Si la Cour avait donné raison à Ottawa, elle aurait créé un dangereux précédent. Elle aurait permis au gouvernement fédéral de réglementer tout ce qui touche de près ou de loin au commerce», note l'avocat Frédéric Bérard, qui enseigne le droit constitutionnel à l'Université de Montréal. Ainsi, Ottawa aurait pu mettre son nez dans les assurances, le commerce de la bière ou encore la protection des consommateurs.

«En faisant cela, poursuit Me Bérard, la Cour suprême aurait vidé les provinces de l'ensemble de leurs pouvoirs de réglementation en matière commerciale.»

Le ministre Bachand n'a pas caché sa satisfaction, hier en conférence de presse. «C'est une victoire du fédéralisme sur l'unilatéralisme», a-t-il dit.

De son côté, le ministre Flaherty a pris acte de cet avis dans un commentaire laconique. «Nous avons pris connaissance de cette décision et nous la respecterons. Il est clair que nous ne pouvons aller de l'avant avec ce projet de loi.»

Les juges de la Cour suprême ont invité Ottawa à adopter une autre approche que celle des gros sabots. «Rien n'interdit une démarche coopérative qui, tout en reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, habiliterait le Parlement à traiter des enjeux véritablement nationaux.»

C'est exactement l'approche de coopération que les provinces ont mise de l'avant avec le système du passeport. Toutes les provinces y participent, à l'exception notable de l'Ontario, qui a fait faux bond à ses voisines pour se ranger derrière Ottawa.

En vertu de ce système, les commissions des valeurs mobilières provinciales ont harmonisé leur réglementation. Ainsi, les entreprises qui veulent émettre des actions à la grandeur du pays n'ont plus à cogner à toutes les portes. La commission de leur province fait office de guichet unique, ce qui économise temps et argent.

Il reste à voir si le ministre Flaherty collaborera à ce système ou s'il travaillera encore à le saboter. Et si l'Ontario va se rallier aux autres provinces.

À en juger par les questions posées hier par des médias torontois, la partie n'est pas gagnée. Québec est-il prêt à mettre de l'eau dans son vin et à collaborer avec Ottawa pour mettre en place un système national qui gère bien les risques systémiques, ont-ils demandé? Mais ces risques sont déjà bien gérés, a rétorqué le ministre avec une pointe d'agacement, en rappelant que le système collaboratif actuel n'en est pas moins national.

Le système de passeport n'est pas parfait, loin de là. Il est souvent long et ardu de faire évoluer la réglementation en négociant à plusieurs. Mais il fonctionne correctement. Et il fonctionnerait mieux si tous les gouvernements du pays ramaient dans la même direction.

Cela fait plus de 75 ans que le Canada se dispute sur cette question de compétence. Il est temps de passer à autre chose.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca