C'est un jeu aussi vieux que les locomotives à vapeur. Deux petits gars qui marchent côte à côte sur les rails d'un chemin de fer. Et qui regardent un train arriver.

Qui sautera le premier? Qui passera pour peureux?

En observant la confrontation des derniers jours entre Richard Garneau, président de Produits forestiers Résolu, et Clément Gignac, ministre des Ressources naturelles et de la Faune, on a l'impression de regarder deux coqs qui jouent à «chicken».

Ce train, on sait précisément quand il arrivera: le 31 décembre. C'est ce jour-là qu'expireront les droits hydrauliques accordés à Résolu sur la rivière Shipshaw, qui se jette dans le Saguenay près de Jonquière. C'est sur cette rivière que se trouve la centrale hydroélectrique Jim Gray, première centrale d'Hydro-Saguenay avec une puissance installée de 63 mégawatts, soit 37% de la capacité de cette filiale de Résolu.

Hydro-Saguenay, c'est une machine à profit pour Résolu. Mais pour que l'ancienne AbitibiBowater conserve ce privilège pendant 10 autres années, l'entreprise montréalaise est tenue par la loi de réinvestir au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Combien? La somme de 150 millions en dollars de 2002, actualisée à un taux de 10%. Selon quand ces investissements se réaliseront, et selon qui en parle, cela représente entre 400 millions et 720 millions de dollars. Beaucoup de «bidous», en somme.

En entrevue cet automne, Richard Garneau m'a dit que Résolu n'a pas les moyens d'investir autant après avoir flirté avec la faillite. «Ce n'est pas de la négociation: c'est impossible de payer cette somme», disait-il.

La fermeture de la machine à papier numéro 6 de l'usine Kénogami, dans la ville de Saguenay, a fait sauter le couvercle de la marmite à Québec.

La condamnation de cette machine vétuste la semaine dernière ne représente pas une surprise. La demande pour le papier d'impression commerciale de première qualité a reculé ces dernières années. Mais cette annonce qui a été faite isolément, sans promesse d'investissement additionnel - une maladresse, sur le plan politique -, a fait bondir le ministre Gignac.

«Je trouve cela inacceptable», a-t-il tonné.

Le ministre des Ressources naturelles a fixé un ultimatum à l'entreprise. Soit que l'entreprise dépose un plan d'investissement détaillé, avec des montants et un calendrier précis. Soit que le gouvernement du Québec refuse de reconduire le bail de la centrale Jim Gray. Un geste radical qui entraînerait la rétrocession de cette centrale d'une valeur de 330 millions de dollars, selon Le Quotidien.

Clément Gignac refuse de négocier sur la place publique. Le ministre attend la date butoir du 31 décembre avant de porter un jugement définitif, a fait savoir son attachée de presse.

Richard Garneau a parlé à La Presse mardi, en compagnie du porte-parole de Résolu, Pierre Choquette. Les deux hommes ont esquissé le portrait de la réorganisation de la production et des investissements que Résolu envisage au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Relance de l'usine de papier commercial de Dolbeau. Fermeture de deux des six scieries de Résolu, vraisemblablement celles de Roberval et de Saint-Félicien. En revanche, Saint-Félicien pourrait hériter d'une nouvelle usine de bois d'ingénierie, un produit novateur qui remplacerait les poutres dans les constructions en hauteur.

L'investissement s'élève à 200 millions de dollars. Outre Résolu et le partenaire américain propriétaire des droits sur cette technologie, les municipalités de Roberval, de Saint-Félicien et de Saint-Prime (où Richard Garneau a grandi) seraient actionnaires du projet. Résolu espère un investissement ou un prêt significatif d'Investissement Québec, mais n'a reçu aucune assurance en ce sens, indique Richard Garneau.

Au final, fait valoir Richard Garneau, les usines de Résolu au Saguenay-Lac-Saint-Jean seraient plus performantes, plus novatrices. Mais il y a un hic. Un gros hic qui n'a rien à voir avec les conditions stipulées pour le renouvellement du bail de la centrale Jim Gray en 2002. Résolu exige d'avoir un approvisionnement en bois garanti sur cinq ans.

«Ce serait irresponsable pour nous d'annoncer des investissements sans savoir si le bois va être disponible (pour alimenter les usines)», dit Richard Garneau, qui déplore l'incertitude créée par les zones protégées et la réduction de la possibilité forestière.

Pareille garantie va à l'encontre de l'esprit de la réforme du régime forestier, en vertu de laquelle de 20% à 25% du bois disponible sur les terres publiques sera vendu aux enchères. Pour le gouvernement du Québec, il a toujours été hors de question de créer un tel précédent.

Le ministre Gignac espère que la menace de perdre la plus grande centrale d'Hydro-Saguenay forcera Résolu à se commettre. Mais il est difficile de forcer une entreprise à investir contre son gré. Surtout avec un recours (la rétrocession) qui sera assurément contesté devant les tribunaux.

Dans son emploi précédent, Richard Garneau a contesté les impôts municipaux de villes de la Colombie-Britannique jusque devant la Cour suprême du Canada! Et AbitibiBowater a invoqué l'accord de libre-échange pour contester l'expropriation de centrales et d'une usine à Terre-Neuve, ce qui lui a valu un dédommagement de 130 millions d'Ottawa.

«Nous avons rempli toutes nos obligations jusqu'ici», insiste Richard Garneau. Pour ce président, il faudra attendre 2022 avant de déterminer si Résolu n'a pas investi assez au Saguenay-Lac-Saint-Jean, pas avant. Dans lequel cas Résolu devra payer une pénalité.

D'un autre côté, pour le gouvernement libéral, il est impensable de récompenser une entreprise qui annonce des licenciements au Québec tout en investissant en Ontario. Surtout qu'il n'est aucunement acquis que l'usine de bois d'ingénierie ira à Saint-Félicien, Résolu étant aussi courtisée pour ce projet par nos bons voisins ontariens.

L'impasse semble donc totale. Mais le président et le ministre n'ont pas coupé les ponts. Les deux hommes garderont leur portable ouvert pendant le réveillon de Noël. Et d'ici le jour de l'An, bien des petites villes du Saguenay-Lac-Saint-Jean vivront en suspens.