Jeudi soir à L'Astral, mes collègues chroniqueurs et moi avons décortiqué l'actualité de 2011 devant quelque 300 lecteurs de La Presse qui s'étaient déplacés pour l'occasion.

Évidemment, Michel Girard et moi avions l'embarras du choix tellement l'année économique a été riche en rebondissements. Mais, même en effleurant des sujets importants et en négligeant d'autres gros événements (20 minutes, c'est court), il me paraissait impossible de contourner Research in Motion.

Dire que 2011 a été l'annus horribilis de RIM tient de l'évidence. Il y a eu le lancement bâclé de la tablette PlayBook, maintenant soldée. L'accueil tiède réservé aux derniers téléphones intelligents de la gamme BlackBerry 7 ou BB7. Le licenciement de 2000 employés. Les révisions à la baisse des résultats financiers. La chute de l'action de près de 77% depuis son sommet de l'année - avant même la plongée de 12% d'hier! La panne de trois jours en octobre qui a affecté des millions d'utilisateurs à travers le monde.

Et cet incident tragicomique: deux cadres saouls qui se battent à bord d'un vol Toronto-Pékin, ce qui a forcé l'atterrissage imprévu de l'avion d'Air Canada à Vancouver pour leur arrestation. La cerise sur le gâteau, quoi.

Je n'avais pas eu le temps de parcourir le fil de presse avant la soirée. Nous avions été convoqués en fin d'après-midi pour une générale. Mais, il me semblait impossible que RIM nous réserve une autre mauvaise surprise. Surtout que les dirigeants de l'entreprise de Waterloo avaient prévenu les investisseurs que leurs prochains résultats seraient décevants, avec une charge de 485 millions US liée aux insuccès du PlayBook.

Aussi, je suis tombée à la renverse en lisant les nouvelles hier matin. Sur le cul!

Le jour où l'on fera l'autopsie de Research in Motion, on tournera les pages du calendrier et on mettra le doigt sur le 15 décembre 2011. C'est ce jour-là qu'on a su que l'entreprise de Waterloo était atteinte d'un cancer en phase terminale.

De toutes les mauvaises nouvelles que RIM a annoncées jeudi après la fermeture des marchés, c'est le report du lancement de la nouvelle génération de téléphones intelligents qui représente l'annonce fatidique.

Ces BlackBerry, qui s'appuient sur le nouveau système d'exploitation du PlayBook mis au point par la société QNX, ne seront pas mis en vente avant la fin de 2012. Aussi bien dire une éternité! L'industrie attendait les BB10 en début d'année.

Les ventes de BlackBerry périclitent aux États-Unis, son principal marché. La part de marché de RIM se situait à 9% au troisième trimestre de 2011, contre 24% à pareille période en 2010, selon la firme Canalys. Et RIM prévoit maintenant que ses livraisons au quatrième trimestre chuteront à entre 11 et 12 millions d'appareils, contre 14,9 millions il y a un an.

Tout cela pour dire que RIM n'a pas le luxe d'attendre une seconde de plus pour lancer ce qui s'annonce comme son dernier espoir. Surtout si elle espère convaincre les informaticiens de développer de nouvelles applications pour elle, un critère clef aux yeux des futurs clients.

Mike Lazaridis, cochef de la direction, a bredouillé des excuses jeudi, ses deuxièmes depuis la grande panne d'octobre. «Nous vous demandons d'être patients et de nous faire confiance», a-t-il dit.

Le problème, il est là. Plus personne ne fait confiance au tandem formé par Mike Lazaridis et Jim Balsillie pour revoir le fonctionnement de l'entreprise et pour repenser sa structure et son modèle d'affaires. Si RIM peut espérer trouver un remède miracle, il ne viendra pas de ces dirigeants qui ont créé une entreprise formidable, mais qui l'ont égarée par la suite.

Un analyste financier a demandé jeudi aux dirigeants de RIM s'ils réorientaient l'entreprise pour que celle-ci devienne un fabricant de téléphones à faible coût. Toute la déchéance de RIM, qui s'accroche désespérément à sa croissance dans les pays émergents, se trouve encapsulée dans cette question effrontée.

La situation dramatique de RIM exige un regard neuf. Un PDG et des administrateurs qui remplaceront des dirigeants qui ont trop longtemps cultivé le déni. Mike Lazardis et Jim Balsillie proposent de travailler à rabais, à un salaire annuel d'un dollar. Mais, s'il y a encore des actionnaires qui croient en l'avenir de RIM, ne fut-ce que par des velléités de nationalisme canadien, ils seront prêts à payer quelques millions de dollars pour recruter un expert en redressement rompu aux télécoms.

À tout événement, il vaut mieux mettre l'argent là que d'investir des sommes non négligeables - une centaine de millions par trimestre! - dans une campagne de promotion et de marketing aux États-Unis.

Le marketing pour le marketing, cela ne fonctionne pas. Il faut que cette campagne repose sur des téléphones performants. Or, dans l'environnement concurrentiel actuel, où les iPhone et les appareils qui s'appuient sur le système d'exploitation Android de Google épatent les Américains, les BlackBerry souffrent de la comparaison. HTC et Samsung s'imposent comme les nouveaux leaders dans les téléphones intelligents. Tant que les BB10 ne seront pas prêts à être mis en marché, investir autant d'argent dans le marketing revient à jeter de l'argent par les fenêtres.

À défaut de prendre des mesures énergétiques et radicales, RIM finira au cimetière de la techno. Comme ce fut le cas avec Nortel, des concurrents opportunistes la dépèceront pour ses brevets. L'action de l'entreprise ne reflète d'ailleurs plus que cette valeur de liquidation.

Quelle triste histoire.