C'est le dernier «territoire vierge». Le commerce de détail en Inde ouvre ses portes aux étrangers. Mais les Walmart et Carrefour de ce monde ne seront pas accueillis avec des fleurs.

Plus de 10 000 commerçants en grève. Des centaines de manifestants hurlant leur colère.

Telle était la scène, jeudi dernier à New Delhi, première grande riposte à la réforme du gouvernement qui veut ouvrir le commerce de détail en Inde aux multinationales étrangères malgré la controverse.

N'en déplaise à Walmart, «la madame n'est pas contente!».

Du moins, c'est le sentiment général ces jours-ci chez les millions de petits commerçants qui forment le réseau éclaté, presque chaotique, du commerce de détail dans ce pays de 1,2 milliard d'habitants.

«Nous ne voulons pas des investissements étrangers... Pourquoi Walmart vient en terre étrangère vendre ses biens? Où allons-nous aller?», s'est exclamé le secrétaire général de l'Association des propriétaires de commerces et petites entreprises, Kishore Kaharawal, cité par l'AFP.

Les petits commerçants ont remporté une première manche, alors qu'un ministre du gouvernement a confirmé hier que le projet était «suspendu» dans l'attente de trouver un terrain d'entente. N'empêche que le gouvernement indien est déterminé à aller de l'avant. Son projet de loi autorisera les étrangers à investir - à hauteur de 51% - dans la grande distribution indienne.

Les grands détaillants de la planète, dont l'américain Walmart, le français Carrefour ou l'allemand Metro, pourront donc ouvrir des supermarchés. Ceux-ci sont déjà présents en Inde, mais seulement à titre de grossistes ou de partenaires des magasins locaux dits «à marque unique», comme l'autorise la loi actuelle. Les étrangers exploitent surtout des établissements de vente en gros (les «Cash & Carry»), qui desservent les restaurateurs et les petits détaillants.

Dans le «big retail» mondial, on attendait donc ce moment depuis des années.

Un potentiel énorme

En Inde, les petites échoppes de quelques mètres carrés, appelées «kiranas», assurent l'essentiel du commerce de détail. Le secteur de la distribution, dit «organisé», ne représente que 5% à 10% d'un marché énorme évalué à 450 milliards US.

Ce qui fait dire à la firme indienne KSA Technopak que l'Inde est «le dernier grand territoire vierge» pour les grands détaillants.

Au pays de Krishna et de la méditation, Walmart et ses homologues affronteront 12 millions de petits marchands qui n'ont pour ressources que leur détermination. Les codes à barres? Le paiement électronique? La gestion informatisée des stocks? Totalement inconnus pour la majorité d'entre eux.

Ce gigantesque bazar est néanmoins le plus grand secteur de l'économie, représentant 10% du PIB (produit intérieur brut). Plus important encore, le commerce de détail indien croît de 10 à 15% par année, selon la firme américaine McKinsey. D'où l'intérêt des étrangers.

Toutefois, le projet du premier ministre Manmohan Singh déchire le pays. L'opposition a bloqué le Parlement, avec le soutien de certains alliés du gouvernement, pour dénoncer cette menace pour le gagne-pain des petits commerçants.

Le gouvernement, de son côté, défend une réforme qui favorisera la modernisation de la logistique, la création de millions d'emplois et une baisse des prix pour les consommateurs.

Pour apaiser la grogne, on a évidemment prévu certaines conditions: les étrangers devront, notamment, faire un investissement minimum de 100 millions US. Les nouveaux venus devront aussi s'approvisionner à hauteur de 30% auprès de fournisseurs locaux. Enfin, les nouveaux hypermarchés ne pourront ouvrir que dans les villes de plus d'un million d'habitants, soit une cinquantaine aujourd'hui.

Curieusement, les champions locaux, comme Reliance et Futur, ne s'opposent pas vraiment à la venue des Occidentaux. On souhaite conclure des alliances avec ces derniers afin d'améliorer la distribution... et les profits. Il faut dire que les grands détaillants indiens se butent, eux aussi, à la résistance des kiranas lorsqu'ils mettent leur grosse patte en région.

Le retour d'Ikea

Des étrangers hésitent encore à s'installer en Inde. Même si la loi permettait déjà aux détaillants de marque unique de détenir 51% d'un magasin en Inde, Ikea avait retiré ses enseignes jaune et bleu il y a quelques années.

Or, la nouvelle loi permettra aux «monomarques» de détenir 100% de leurs magasins. Selon la presse indienne, le groupe suédois s'est ravisé et annoncerait ses projets d'expansion dès cette semaine.

La tension risque de monter d'un cran. Il reste que les choses devront changer. Dans le secteur alimentaire, en particulier, l'Inde est encore à l'âge de pierre. Cette seule donnée résume bien la situation: aujourd'hui, 30 à 40% de la production de fruits et de légumes pourrit avant d'arriver sur les étals.