C'est une semaine qui a apaisé l'âme des investisseurs comme un bol fumant de bouillon de poulet fait maison.

Aux États-Unis, l'indice S&P 500 a connu sa meilleure progression hebdomadaire ("7,4%) depuis mars 2009, le point tournant de la crise financière en Bourse.

Le taux de chômage, qui semblait cloué à son seuil de 9%, a enfin chuté à 8,6%, un recul qui n'arrive pas une minute trop tôt pour le président Barack Obama. Cette nouvelle a consolidé le grand rebond de mercredi, lorsque les banques centrales des pays riches sont intervenues en force pour abaisser les coûts d'emprunts des banques européennes et restaurer le crédit qui s'asséchait.

Mais tous n'ont pas profité de l'embellie des derniers jours. Deux vedettes canadiennes de l'industrie du vêtement, Gildan et Lululemon, ont sonné des notes discordantes jeudi. Gildan a perdu 32,6% - le tiers! - de sa valeur en Bourse après que ce fabricant de t-shirts de Montréal eut révélé qu'il prévoit une perte pour le trimestre en cours, sa première en 10 ans. Ses clients attendent que leurs inventaires se résorbent et que le prix du coton fléchisse encore avant de passer de nouvelles commandes.

Quant à Lululemon, de Vancouver, il a concédé que ses profits seraient moindres. Ce détaillant culte, qui a délibérément créé un effet de rareté pour ses vêtements de yoga dans le passé, se trouve maintenant aux prises avec des inventaires importants. Il devra faire comme tous les autres commerçants et solder ses vêtements une fois le père Noël passé. Cette nouvelle a retranché 5,7% de la valeur de Lululemon à la Bourse de Toronto, bien que ce titre chouchou ait réussi à rattraper le terrain perdu hier.

Si l'on se fie uniquement à ces réactions boursières, on pourrait croire que Gildan est en perdition et que Lululemon se trouve au-dessus de la mêlée. Mais les difficultés de Lululemon sont plus existentielles que celles de Gildan, de nature conjoncturelles.

Ces deux entreprises oeuvrent dans l'industrie de la guenille, mais leurs stratégies d'affaires et leurs images sont aux antipodes.

Gildan a lancé une offensive au détail il y a plus d'un an, afin de vendre aux grandes chaînes, sous sa propre étiquette, ses t-shirts, sous-vêtements et chaussettes. Mais Gildan reste avant tout un fabricant de marques privées. Il tire plus de 60% de son chiffre d'affaires de 1,7 milliard US de la vente de t-shirts et de chandails à des grossistes, qui les revendent à des imprimeurs qui personnalisent ces vêtements en y apposant un logo, un dessin ou une image.

Réduire les coûts de production est une obsession du président de Gildan, Glenn Chamandy, qui a fait sienne la maxime de son grand-père Joseph. «En affaires, tu ne fais pas d'argent, tu en économises!» Il a délocalisé la production dans les Caraïbes et au Honduras. Il a investi dans des équipements de production à la pointe. Tout cela pour produire un t-shirt de coton à moins de 2$US pièce.

Être un producteur à coût extrêmement bas ne vous attirera pas l'admiration de la gauche caviar ou de la gauche creton. Surtout si vos usines font l'objet de reportages sur leurs difficiles conditions de travail.

C'est tout le contraire pour Lululemon. Les adeptes du yoga et le cercle, plus large, des amateurs de vêtements de yoga se sont épris de cette entreprise fondée en 1998.

Les femmes qui composent la majorité de sa clientèle ne font pas qu'acheter chez Lululemon. Elles appartiennent à une communauté. Elles adhèrent au manifeste de l'entreprise, selon lequel en prenant soin de soi, on construit un monde meilleur.

«Faites chaque jour quelque chose que vous redoutez», est-il écrit dans ce manifeste. «Les gens qui réussissent disent 'je ferai' plutôt que 'je souhaite'.» Ou encore «Les amis sont plus importants que l'argent».

C'est d'autant plus vrai qu'appartenir à la communauté Lululemon a son prix. Un pantalon de yoga Astro coûte 98$, une camisole Scoop rose fuchsia, 52$.

Les marges de profit de Lululemon font baver d'envie les investisseurs, qui ont propulsé le titre de 95% au cours de la dernière année! Même après son repli des dernières semaines, l'action se négocie encore à plus de 46 fois le bénéfice par action. Mais ces mêmes investisseurs exercent une pression sur Lululemon, qui est condamnée à croître pour répondre aux attentes élevées.

La croissance des ventes dans les magasins ouverts depuis plus d'un an s'est élevée à 18% (en dollars constants) au cours des neuf premiers mois de l'année. Mais, aussi fabuleuse soit-elle, cette croissance des ventes comparables ne peut être éternelle.

La seule façon de grandir, c'est d'ouvrir de nouveaux magasins. Cette chaîne en compte déjà plus de 140, la majorité aux États-Unis. Mais comment le faire sans perdre son âme? Sans devenir un banal détaillant comme les autres?

American Apparel s'est cassé la figure en ouvrant trop de magasins, trop rapidement, bien que ce détaillant éprouvait aussi d'autres problèmes de gestion. La chaîne Starbucks a dû faire marche arrière après avoir vu trop grand, en fermant des cafés et en formant mieux ses baristas. La PDG Christine Day, qui a justement passé 20 ans à l'emploi de Starbucks avant de déménager à Vancouver, fait donc face à tout un défi.

Les difficultés de Gildan, en comparaison, tiennent de la conjoncture. Le coton représente le tiers de ses coûts de production. Son prix a flambé il y a un an, pour atteindre un sommet en 140 ans! Mais depuis le printemps dernier, il a chuté de façon marquée. L'entreprise montréalaise est ainsi coincée avec des t-shirts à coûts élevés et des clients qui réduisent leurs inventaires en attendant que les prix baissent.

Gildan se replacera. Mais il n'est pas dit que Lululemon lévitera encore à ce moment-là.