Opération charme, hier, au Palais des congrès de Montréal. Devant les quelque 1300 convives réunis par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le premier ministre du Québec a défendu «son» Plan Nord.

Jean Charest ne le présente pas en ces mots. Mais il est clair, à la façon qu'il répond point par point à chacun de ses détracteurs, qu'il considère ce plan sur 25 ans comme le plus grand héritage de son gouvernement. Une douzaine de ministres et de députés l'accompagnaient d'ailleurs pour l'occasion.

Le premier ministre a arpenté la scène, entre son lutrin de présentateur et une immense carte du Québec, avec l'enthousiasme d'un jeune professeur de géographie. Il avait la forme, comme on dit. Seules les vociférations d'un indigné qui s'est infiltré dans la salle sous le nez des agents de sécurité ont distrait brièvement son auditoire.

Pour convaincre les Montréalais du bien-fondé de ce plan dont le nom même semble les exclure, Jean Charest a vanté ses retombées pour le sud du Québec. Le président de la Chambre de commerce, Michel Leblanc, avait d'ailleurs mis la table en évoquant les 30 000 emplois perdus dans la région de Montréal «au dernier décompte».

Jean Charest a cité en exemple les investissements de 800 millions de dollars annoncés en mai par Rio Tinto Fer et Titane. Ces fonds serviront à accroître la production d'ilménite à sa mine de Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord. Mais ils profiteront aussi au vieux complexe métallurgique de Sorel-Tracy, où 1700 travailleurs produiront des poudres métalliques avec des équipements modernisés. «Les grands gagnants sont en Montérégie», a fait valoir Jean Charest.

Le député de Sherbrooke a aussi raconté avoir croisé à une épicerie de la rue King un employé de la mine Raglan, située à l'extrême nord du Québec. Comme ce M.Fortin, plusieurs Sherbrookois travaillent pour cette mine de nickel du groupe Xstrata en «fly in, fly out», pour reprendre l'expression consacrée.

«Le Plan Nord, c'est pour tous les Québécois», a-t-il dit.

Jean Charest a raison sur ce point. Il est réducteur, comme Jacques Parizeau l'a fait la semaine dernière, de limiter l'apport de l'industrie minière à sa seule contribution au produit intérieur brut du Québec. Comme ce fut le cas pour les grands ouvrages hydroélectriques, les projets miniers du Nord devraient permettre l'essor de firmes d'ingénierie et d'équipementiers du Québec. Entreprises qui devraient profiter de ce tremplin pour commercialiser leur expertise dans le monde.

Cependant, Jean Charest ne dissipe pas toutes les inquiétudes que suscite le Plan Nord.

Au nom de la compétitivité, le Québec va-t-il flamber les redevances qu'il récolte sur des infrastructures de transport et d'énergie mises au service de promoteurs privés?

Pas question de subventionner la vente d'électricité, a assuré Jean Charest, en réponse à la crainte exprimée par Jacques Parizeau. «ll faudra payer le prix que cela coûte, plus une marge, plus un profit», a-t-il martelé.

Mais est-ce que ce prix couvre les coûts de transport de l'électricité? Ce n'est pas un détail. Par exemple, les promoteurs d'Oceanic Iron Ore ont demandé à Hydro-Québec d'examiner la possibilité de prolonger ses lignes de transport d'électricité jusqu'à la baie d'Ungava, rapportait Le Soleil ce week-end.

Combien cela coûtera-t-il? Qui paiera la note? Impossible de le savoir. Gary Sutherland, porte-parole d'Hydro-Québec, refile toutes les questions sur ce dossier brûlant à un fonctionnaire des Ressources naturelles. Celui-ci n'a pas rappelé La Presse hier.

Ce n'est pas la seule zone d'ombre. Le Plan Nord prévoit qu'Hydro-Québec investira 47 milliards de dollars en 25 ans. De cette somme, 25 milliards serviront à développer 3500 MW d'énergie propre. Où ira le solde? À la construction de lignes de transport? Encore ici, Hydro-Québec se défile. «Il est trop tôt: c'est le gouvernement qui a ces réponses-là», dit Gary Sutherland.

Le Plan Nord lui-même laisse place à l'interprétation. «Les termes et les conditions de ces contrats d'approvisionnements seront convenus pour chacun des projets selon leurs spécificités propres», est-il écrit.

Bref, on nage dans le cas par cas, sans qu'on sache quelles seront les balises des décisions. Le Québec peut-il se montrer moins généreux envers les projets de sociétés minières dont Investissement Québec n'est pas actionnaire?

On ne sait pas plus si les contrats convenus de gré à gré seront rendus publics. Vu l'importance des sommes en jeu, les Québécois s'attendent à une grande transparence.

Après que le Québec eut donné pour une bouchée de pain les permis d'exploration pour le gaz de schiste, nettoyé à ses frais les mines abandonnées et cédé à perte ses ressources pendant des années, il ne faudrait pas en vouloir aux contribuables de se montrer un tantinet méfiants.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca