L'événement n'avait rien d'une première de spectacle. C'était à 8h15 le matin. C'était à HEC Montréal. Et ce colloque de l'Institut de recherche en économie contemporaine portait sur le développement minier du Québec, un sujet aride qui faisait fuir les foules il n'y a pas si longtemps.

Mais l'amphithéâtre IBM était plein à craquer, les retardataires devant se contenter de marches de béton froides. C'est dire à quel point la volonté du Québec de développer ses ressources minérales suscite la polémique.

Parler du rendement sur investissement en valeur présente actualisée avant la première pause café? Pas de souci!

Évidemment, la présence de l'ancien premier ministre Jacques Parizeau n'était pas étrangère à toute cette effervescence. Yves Michaud, Daniel Paillé, Daniel Turp, Michel Nadeau... Disons que la Ligue du vieux poêle du mouvement souverainiste était bien représentée.

S'ils attendaient un discours partisan, ils auront toutefois été déçus. Jacques Parizeau a conservé intact son sens de la formule. Mais il s'est élevé au-dessus de la mêlée, avec la mesure qui sied à un ancien homme d'État de 81 ans.

Jacques Parizeau n'a pas tiré à boulets rouges sur le régime de redevances du Québec, comme l'a fait Yvan Allaire, professeur émérite de stratégie de l'UQAM.

De la hausse du taux des redevances sur les profits des sociétés minières, qui passera à 16% contre 12% auparavant, Jacques Parizeau a dit que le ministre des Finances, Raymond Bachand, a «mis fin à une situation scandaleuse».

En revanche, l'ancien premier ministre a mis le doigt sur certains des aspects les plus négligés du Plan Nord. Considérations qui ont été éclipsées par le débat sur les redevances.

De un, le gouvernement du Québec n'a pas clairement énoncé de quelle façon il envisage de développer le Nord. Est-ce que le Québec créera de nouveaux villages autour de l'activité minière? Ou est-ce qu'il favorisera l'embauche d'une armée de travailleurs volants? Ce qui n'est pas sans créer des problèmes sociaux, sur les chantiers comme dans les familles séparées durant de longues semaines.

De deux, le gouvernement s'apprête à financer des infra-structures qui ne serviront, en fin de compte, qu'à des promoteurs privés. Combien de gens iront faire du camping sauvage dans les monts Otish? Poser la question, c'est y répondre.

Le Québec n'est-il pas en droit de s'attendre, en retour, à une participation au capital de ces entreprises? Certainement. De telles participations donneraient un droit de regard sur la façon dont les projets - souvent pilotés par des multinationales - sont menés au Québec.

Prenons le prolongement de la route 167, l'un des premiers projets du Plan Nord. Il en coûtera plus de 330 millions pour que deviennent carrossables les 243 kilomètres qui mènent au projet Renard de la société Stornoway Diamond Corporation. Le Québec assumera plus de 85% de cette facture. Mais Stornoway aura la gentillesse d'assurer l'entretien de cette route, au coût de 1,2 million de dollars par année!

Encore heureux que, dans le cas de Stornoway, le Québec participe aux profits éventuels de ce projet, puisqu'il est actionnaire à hauteur de 37% de ce producteur de diamants, en plus de toucher une petite redevance sur les ventes futures. Mais ce n'est pas le cas de la plupart des entreprises minières qui projettent d'explorer et de forer le territoire boréal. Dont celles qui pourraient border cette route 167.

Or, plusieurs de ces mines exigent des investissements en infrastructures considérables. Prenons le gigantesque projet de mine de fer du Lac Otelnuk, au Nunavik. Avec un investissement estimé à 13 milliards de dollars, ce complexe minier deviendrait le plus important centre de production du Canada, tous métaux confondus. Cette coentreprise du producteur d'acier chinois Wisco (60%) et de la société canadienne Adriana Resources (40%) exige l'aménagement de 815 kilomètres de voies ferroviaires. Il nécessite aussi l'agrandissement du port de Sept-Îles, pour que celui-ci puisse accueillir d'immenses vraquiers chinois. Entre autres!

De 2011 à 2016, les investissements dans les infrastructures de transport, de 821 millions de dollars, équivaudront à la moitié de tous les investissements publics consentis dans le cadre du Plan Nord.

Historiquement, les groupes miniers ont financé leurs propres infrastructures.

«Un bar ouvert se profile», dénonce Jacques Parizeau. Pour cet ancien premier ministre, c'est une façon pour le gouvernement de redonner à l'industrie ce qu'il a pris de l'autre main en relevant le taux des redevances!

C'est sans parler des contrats de fourniture d'électricité à des tarifs industriels qui sont largement inférieurs aux coûts de production des derniers ouvrages d'Hydro-Québec. Ces contrats seront négociés de gré à gré, en secret, a déploré Jacques Parizeau. Passons rapidement sur le fait que l'ancien premier ministre sait de quoi il parle, puisqu'il a lui-même paraphé quelques contrats en secret...

Mais, sur le fond, Jacques Parizeau a raison. Le Québec peut légitimement réclamer une participation minoritaire en échange de ses investissements dans les infrastructures. Investissements qu'il ne faudrait pas assimiler à des prises de participation directes dans le capital des sociétés minières.

«Ce n'est pas une attaque, a assuré Jacques Parizeau. Tout ce que je dis, c'est que cela devrait être de l'ordre du possible.»

N'est-ce pas, justement, la définition de la politique?

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca