Quand les Égyptiens ont occupé la place Tahrir, l'hiver dernier, ils étaient nombreux, à Washington, à s'émerveiller devant l'ingéniosité et le courage de cette belle jeunesse qui se battait pacifiquement contre les inégalités, l'injustice et la corruption.

Apparemment, ce qui vaut pour les uns ne vaut pas pour les autres. Cette semaine, la police de New York a entrepris de déloger les manifestants qui occupaient tout aussi pacifiquement un petit square du district financier de la métropole américaine, et d'autres places publiques dans d'autres villes.

L'Égypte de Moubarak était une dictature inflexible. Ce n'est pas le cas des États-Unis. Mais il y a aussi quelques injustices à dénoncer... Et c'est pour le moins désolant de voir que dans un pays qui prêche la démocratie, le pouvoir a choisi de déployer la méthode forte pour faire rentrer les génies de la révolte dans la bouteille d'où ils se sont échappés, il y a deux mois.

Mais, opération policière ou pas, Occupy Wall Street est arrivé à un tournant. Le mouvement est né d'une idée du magazine canadien Adbusters, qui avait lancé l'appel à occuper Wall Street à compter du 17 septembre. Eh bien, cette semaine, le même Adbusters a suggéré aux protestataires de quitter les places publiques où ils ont dressé leurs tentes.

«L'occupation a bien fonctionné, mais la magie des débuts n'est plus là. Le mouvement fonce vers un mur», constate Kalle Lasn, éditeur du magazine, que j'ai joint cette semaine à Vancouver. Une série d'incidents, incluant la malheureuse surdose à Vancouver, ont écorché le capital de sympathie dont jouissaient les manifestants. Et déplacé l'attention publique du message de protestation vers ces dérapages.

La question de la sécurité a commencé à hanter les protestataires eux-mêmes, dit Nathan Schneider, du mouvement Waging Non Violence, qui suit Occupy Wall Street depuis le début. Selon lui, Occupy est en pleine mutation: «Le mouvement a dépassé les limites du square original», dit-il. Ainsi, ces derniers temps, les décisions stratégiques étaient prises à l'extérieur du parc Zucotti. Il semble même qu'Occupy ait trouvé refuge dans un bureau de New York.

La dure réalité climatique a aussi rattrapé les protestataires, qui ont commencé à se demander s'il était judicieux de continuer leur camping pendant l'hiver.

La razzia policière risque donc d'accélérer un processus déjà en cours. Mais pour aller où? Certains sympathisants d'Occupy croient que le mouvement souffre d'un manque de direction, qu'il devrait embaucher des conseillers politiques et formuler des demandes précises. Nathan Schneider pense plutôt qu'il faut résister à cette tentation, qui ne pourrait qu'affaiblir le mouvement de contestation.

Kelly Lasn, lui, suggère aux manifestants de ranger leurs sacs de couchage le 17 décembre. Et de prendre l'hiver pour préparer l'offensive du printemps.

Ce qui est certain, c'est que même si la police et l'hiver ont raison des occupants de Wall Street, les motifs d'indignation ne disparaîtront pas pour autant. Comme l'écrit le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, les écarts de richesse se sont creusés de façon abrupte aux États-Unis, où le système de taxation est tel que «des milliardaires comme Warren Buffett paient proportionnellement moins d'impôts que leurs secrétaires.» Où les banques sont sauvées par les fonds publics, tandis que leurs victimes sont abandonnées à leur sort. Et où les plus riches peuvent dépenser des fortunes pour «amplifier» leur message, tandis que les protestataires, eux, n'ont même pas le droit d'utiliser un mégaphone.

L'occupation se terminera peut-être dans les jours ou semaines qui viennent. Mais l'indignation, elle, est là pour rester.