En santé, il n'est pas toujours nécessaire de dépenser des milliards pour améliorer les choses. Le plus bel exemple, c'est le projet de loi déposé cette semaine par le ministre Yves Bolduc pour permettre aux pharmaciens de renouveler des prescriptions, de les ajuster, de prescrire eux-mêmes pour des problèmes mineurs, comme les feux sauvages.

Cette mesure va permettre à des dizaines de milliers de personnes d'avoir accès à des soins sans faire la queue à l'urgence ou dans une clinique sans rendez-vous, de mieux utiliser le réseau de ces professionnels de la santé que sont les pharmaciens, d'alléger la charge des médecins et donc de leur permettre de voir des patients qui pour l'instant n'ont pas accès à un médecin de famille. On renforce la première ligne, on améliore l'accessibilité avec un investissement mineur.

On ne peut qu'applaudir. Mais dans un deuxième temps, il faut aussi se demander pourquoi cela a pris tant de temps. La première fois que j'ai écrit sur le sujet, c'était en avril 2000, quand je suggérais à la ministre d'alors, Mme Pauline Marois, de favoriser «une intégration des pharmaciens aux services de première ligne pour bien gérer l'usage des médicaments». Ça fait plus de deux ans que le Parti québécois insiste là-dessus à l'Assemblée nationale. Et il a fallu que l'Ordre des pharmaciens revienne à la charge avec une campagne très bien structurée pour que les choses commencent à bouger.

En soi, deux ans de plus ou de moins, ce n'est pas dramatique. Mais cela peut nourrir notre réflexion sur nos façons de faire, notre immobilisme, notre résistance au changement.

S'il a fallu deux ans pour réinventer le bouton à quatre trous et accepter de faire ce qui se fait dans la plupart des autres provinces, c'est d'abord à cause de la résistance des médecins à cette forme d'interdisciplinarité, celle du Collège des médecins et de la Fédération des médecins omnipraticiens. On peut noter que le Dr Gaétan Barrette, le président de la Fédération des médecins spécialistes, a par contre fait preuve d'ouverture.

Saluant cette réforme, le PDG du Collège des médecins décrit maintenant son organisme comme un « pionnier de la collaboration professionnelle ». Pourtant, le collège a plutôt accueilli cette réforme avec l'enthousiasme que l'on réserve d'habitude à une coloscopie, colorée par un paternalisme méprisant à l'égard des pharmaciens, une dramatisation des enjeux, notamment sur le refus de voir les pharmaciens faire des diagnostics, la chasse gardée de la profession médicale. Même s'il ne s'agissait que de feux sauvages.

Il est vrai que l'élargissement du pouvoir des pharmaciens affectera la pratique médicale. Cela ne privera pas les omnipraticiens de clients, puisqu'un grand nombre de personnes attendent de pouvoir avoir accès à un médecin. Mais si les pharmaciens s'occupent des «petits bobos», les médecins se retrouveront à traiter davantage de «gros bobos». C'est une utilisation intelligente des ressources mais elle se traduira par un alourdissement de la charge des omnipraticiens.

Ces changements mettent aussi en relief certaines anomalies. Un médecin qui, pour faciliter la vie de ses patients, renouvelle leur prescription par fax ou par téléphone ne sera pas rémunéré, Mais le pharmacien le sera, pour faire la même chose. Cela montre que si on veut encourager l'interdisciplinarité, il faudra adapter la façon dont les médecins sont rémunérés.

Un autre facteur dans la lenteur du processus tient à la volonté du ministre Bolduc de ne pas bousculer, de ne pas affronter les médecins et de privilégier plutôt le consensus. En soi, l'intention est louable, mais il y a des cas où il n'est pas mauvais de brasser la cage.