Il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée, à ce qu'il paraît. Ainsi en est-il du conseil d'administration du TMX, le plus grand groupe boursier du pays.

Moins de six mois après avoir décrié l'offre d'achat non sollicitée du consortium Maple, les administrateurs du TMX ont soudainement découvert des mérites à cette transaction d'une valeur estimée à 3,8 milliards de dollars.

La composition du conseil d'administration d'un TMX à la sauce érable n'est sans doute pas étrangère à cette volte-face. Quatre administrateurs indépendants sont assurés de retrouver un siège dans la nouvelle entité. Même chose pour Thomas Kloet, qui conservera son poste de chef de la direction, tout comme la «quasi-totalité» des employés du Groupe TMX, a précisé Maple. Un geste courtois de Luc Bertrand, l'instigateur de ce consortium, que le conseil du TMX avait snobé il y a trois ans en lui préférant Thomas Kloet, candidat externe, pour prendre la tête de l'organisation.

Cependant, l'offre d'achat de Maple n'a pas foncièrement changé, exception faite des précisions sur la régie de l'entreprise et de l'ajout d'une indemnité de résiliation de 39 millions de dollars. C'est la même transaction en deux temps qui se finance par des emprunts adossés à l'institution boursière. Transaction que Thomas Kloet avait décrite comme irresponsable et risquée. La seule raison pour laquelle l'offre de Maple aurait pu faire grimper le bénéfice par action du groupe TMX, c'est par la diminution du nombre d'actions en circulation, se plaisait-il à dire.

Thomas Kloet a dû faire un salto arrière pour expliquer en quoi cette acquisition par emprunt, qui devrait faire grimper le rapport de la dette au bénéfice d'exploitation de 1,1 à 2,9 fois, selon les calculs du TMX, était une bonne affaire.

«De loin, nous n'avions pas une vision complète de la structure de la dette et du plan d'affaires, qui vont permettre de rembourser la dette sans compromettre notre capacité de croître à l'international, a-t-il dit hier en téléconférence. Nous avons conclu que nous pouvons composer avec un tel endettement.»

En fait, après le désistement de la Bourse de Londres, dont l'offre n'a pas réussi à recueillir assez d'appuis, il n'y a que Maple qui soit prêt à offrir 50$ en espèces et en nouvelles actions pour le groupe TMX. Surtout dans l'environnement actuel ! En ce sens, cette conversion des administrateurs du TMX à l'offre d'achat pilotée par 13 des plus grandes institutions financières et caisses de retraite du pays tient plus de la reddition.

Pas plus surprenante est la réaction boursière relativement tiède à cette nouvelle. Même en gagnant plus de 3%, hier, le titre du groupe TMX se négocie largement en deçà des 50$. Il valait 43,80$ à la fermeture des marchés.

Mieux vaut avoir les dirigeants du TMX avec vous que contre vous. Clairement, il sera plus facile de vendre la transaction auprès des autorités réglementaires. Mais ce n'est pas, en soi, la pièce manquante du puzzle. De tous les obstacles que le consortium Maple doit surmonter, c'est l'approbation du Bureau de la concurrence qui sera la plus difficile à arracher.

Maple a eu les yeux plus grands que la panse en faisant de l'achat d'Alpha une plateforme de négociation qui fait concurrence au groupe TMX, une condition à la réalisation de sa transaction. En réunissant Alpha à la Bourse de Toronto et à la Bourse de croissance TSX, le groupe TMX accapare plus de 80% du volume de négociation des actions au pays.

Luc Bertrand n'a pas raté une occasion hier de répéter à quel point le principal groupe boursier du pays resterait neutre et ouvert équitablement à tous les opérateurs de marché, qu'ils soient actionnaires ou non de Maple. Geste hautement politique, son consortium a aussi réservé un siège au conseil d'administration de Maple/TMX à une firme de courtage indépendante.

Pourtant, le groupe Maple aurait très bien pu mettre en oeuvre sa stratégie d'intégration verticale sans Alpha. Cette stratégie passe par l'acquisition de la chambre de compensation CDS, qui est responsable en quelque sorte de toute la tuyauterie derrière les transactions boursières.

C'est un pari osé qui pourrait se retourner contre le consortium Maple. Surtout que l'actuelle commissaire de la concurrence, Melanie Aitken, s'est taillée une réputation de dure à cuire. Elle s'est déjà attaquée aux industries du courtage immobilier, des cartes de crédit et du transport aérien.

Dans ce contexte, le conseil d'administration du groupe TMX a habilement su tirer son épingle du jeu. Avec un pouvoir de négociation limité, il a arraché une indemnité de résiliation de 39 millions de dollars.

Si le Bureau de la concurrence bloque la vente d'Alpha à la Bourse de Toronto, ce qui ferait dérailler la transaction Maple - qui est à prendre ou à laisser, dixit Luc Bertrand -, c'est le groupe TMX qui passe à la caisse. En plus de ne pas avoir à payer un dédommagement de 29,8 millions de dollars à la Bourse de Londres à la suite d'une prise de contrôle par Maple dans les 12 mois qui suivent l'entente de principe avec l'opérateur londonien.

Pareille indemnité s'ajouterait aux liquidités du groupe boursier, qui s'élevaient à 454 millions de dollars au 30 juin dernier. Une somme qui permet de rêver. Peut-être que TMX pourrait revenir à la charge fin seul pour tenter d'acquérir - encore une fois - la chambre de compensation CDS, une vieille ambition de ce groupe boursier. Qui sait ?

Thomas Kloet et sa bande vont-ils déployer des moyens extraordinaires pour «vendre» la transaction Maple auprès des autorités ? Disons simplement que ce n'est pas comme si leur vie en dépendait.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca