Il arrive qu'on ait du mal à trouver l'amorce d'une chronique lorsque nos idées ne sont pas claires. Et il arrive qu'on ne sache par quel bout commencer tellement il y a de choses à dire. C'est le cas de Trou Story, le dernier documentaire de Richard Desjardins et de Robert Monderie.

Ceci explique cela, il y a plusieurs films dans cette histoire. Un film sur l'histoire de l'industrie minière dans le Bouclier canadien, à partir de ses débuts à Sudbury, en Ontario. Un film sur les premières revendications des travailleurs, réprimés avec brutalité. Un film sur les ravages écologiques des activités minières. Un film sur le projet controversé d'une mine à ciel ouvert à Malartic, en Abitibi.

L'une des grandes forces de ce documentaire, c'est de raconter l'histoire méconnue de la ruée vers les premiers gisements miniers de l'Ontario et du Québec. Au péril de leur vie, de pauvres immigrants venus d'Europe fracturaient le sol à la dynamite et à la pioche dans des conditions de travail inhumaines. (Mais pas si différentes de celles dans d'autres industries de l'époque, soit dit en passant.)

Avec l'aide de Pascale Bilodeau, les deux cinéastes ont fait un travail de recherche remarquable pour reconstituer à partir d'archives ce pan ignoré de notre histoire industrielle.

Les textes de Richard Desjardins, qui fait la narration, sont d'une grande finesse. Là où Michael Moore fait dans l'humour burlesque, Richard Desjardins écrit de la poésie ponctuée de satire.

De cet or dont le prix atteint des «sommets admiratifs», il dira qu'il a pour seule utilité de faire «des bijoux, de la vaisselle liturgique et des lingots comateux».

On ne s'ennuie pas. Surtout que Richard Desjardins verse souvent dans la démagogie. Il présente Thomas Edison, qui a visité la région de Sudbury comme prospecteur au tournant du XXe siècle, comme l'inventeur de la chaise électrique.

Ce documentaire insiste lourdement sur l'utilisation militaire du nickel extrait à Sudbury. Les bombes alliées larguées sur la population civile à Dresde, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et la bombe atomique lâchée à Hiroshima étaient enveloppées de nickel canadien!

Le portrait qui s'en dégage est sans nuance. Les groupes miniers sont les méchants. Et les gouvernements sont leurs éternels complices. C'est si grossier qu'on a l'impression que Richard Desjardins fait de l'humour.

L'on tombe dans un tout autre registre lorsque la caméra des cinéastes embrasse les mines abandonnées, des champs de désolation filmés des airs.

C'est un problème largement documenté. Mais ces images bouleversantes permettent de saisir l'ampleur de cette catastrophe écologique et financière. Et d'attiser la colère.

Plus de 180 mines ont été abandonnées par leurs anciens propriétaires. C'est le gouvernement du Québec qui devra les restaurer, une opération qui coûtera plusieurs centaines de millions de dollars.

La réforme de la Loi sur les mines débattue à l'Assemblée nationale s'attaque justement à ce problème. Les entreprises devront assumer la totalité des coûts de restauration des mines en fonction d'un plan qui devra être approuvé par le gouvernement. Et ces sommes devront être versées en garantie dans un délai plus serré pour éviter que les minières ne prennent la poudre d'escampette lorsque leurs gisements sont épuisés. Osisko, la «méchante» minière qui creuse le sol de Malartic, vient d'ailleurs de prendre les devants en versant la moitié de sa garantie financière (22,1 millions) sans que la loi ne l'y oblige encore.

Mais Richard Desjardins ne souffle pas mot de cette réforme. Tout comme il ne dit pas que le gouvernement du Québec a relevé, il y a plus d'un an, le taux des redevances sur les profits miniers de 12% à 16%.

Est-ce assez? Vraisemblablement pas. C'est une question chaudement débattue. Mais pas dans ce film, qui dépeint le plus souvent une situation passée au lieu de discuter de cet enjeu de l'heure.

«On n'est pas trop forts sur les deux côtés de la médaille, a dit Richard Desjardins en entrevue à La Presse. Il y a 100 lobbyistes pour les mines à Québec. Leur point de vue, ils sont bien capables de le faire valoir.»

Il n'a pas tout à fait tort. Mercredi, jour du visionnement de presse de Trou Story, Osisko s'est offert une page de publicité dans le cahier A de La Presse. Et en soirée, la pub d'Osisko a précédé, au Téléjournal, le reportage de Stéphane Leclair sur ce documentaire. Il y a des coïncidences qui n'en sont pas.

En même temps, de pareils trous de mémoire, si on peut les appeler ainsi, discréditent l'oeuvre de Richard Desjardins et de Robert Monderie. C'est un pamphlet aseptisé de toute information qui pourrait contredire l'idée de départ.

En entrevue, Richard Desjardins a admis qu'il n'avait pas cherché à interviewer les dirigeants d'Osisko. Et cela, même si son collègue et lui ont donné le micro à des citoyens qui sont lourdement affectés par le déménagement d'un quartier résidentiel pour y creuser un trou monstrueux.

Les auteurs évoquent les maigres retombées à la ville ou oublient d'inclure les impôts fonciers!

Osisko a ressuscité une petite ville minière d'Abitibi qui s'étiolait, ayant déjà perdu près de la moitié de sa population.

Oui, l'entreprise montréalaise a mis la charrue devant les boeufs en amorçant le déménagement de maisons avant la fin des audiences publiques. Oui, les derniers opposants au projet ont été arrachés de force de leur terrain par le gouvernement du Québec, qui a signé un décret forçant leur expropriation avec compensation.

Mais d'autres résidants (nombreux) étaient ravis de déménager ou de vendre leur demeure à profit. Et d'autres encore étaient heureux de se trouver un emploi pour rester à Malartic plutôt que d'avoir à s'exiler. On ne les entend pas. Dans la lentille méprisante des cinéastes, on ne fait que regarder de loin ces gens qui ont vendu leur âme pour un «salaire de gens instruits».

Ce n'est jamais tout blanc ou tout noir. Sauf dans le monde de Richard Desjardins.