Avez-vous vu la publicité télévisée des employés d'Hydro-Québec qui dénonce la décision de leur employeur d'installer des compteurs intelligents dans nos maisons? Une comédienne, l'air grave, nous parle de «compteurs en or», de chômage, de 1000 mises à pied, du gaspillage de 1 milliard.

Cette campagne, qui coûtera cher au Syndicat canadien de la fonction publique - 2 millions de dollars financés par une cotisation spéciale , s'inscrit dans une logique primaire que le mouvement syndical, pouvait-on croire, avait dépassée, qui consiste à s'opposer à des changements technologiques pour sauver des jobs qui ont perdu leur sens.

Le remplacement des compteurs classiques et des relevés manuels par des compteurs de nouvelle génération s'inscrit dans une tendance lourde, partout dans le monde industrialisé, où l'on profite des technologies de l'information pour mettre en place des infrastructures de mesurage avancé, qui permettent la facturation à distance ou l'établissement de profils de consommation. Une opération où Hydro rentabilisera les 997 millions investis.

L'opposition syndicale est absurde parce que, dans le cas d'Hydro-Québec, les 800 personnes qui travaillent à la relève de nos compteurs ne seront pas mises à pied. On comptera sur les départs, les prises de retraite et le reclassement pendant la période de cinq ans où les 3,8 millions de compteurs seront remplacés.

Elle est encore plus absurde, parce que si celle logique avait triomphé, j'écrirais encore cette chronique sur une machine à écrire Underwood, vous ne pourriez pas la lire sur Cyberpresse ni consulter le site du syndicat, www.compteursenor.com, ni répliquer à cette chronique par courriel. Faute d'arguments sérieux, la campagne publicitaire mise plutôt sur la méfiance généralisée en lançant: «Qui gagne quoi à ce jeu-là?».

Cette campagne, et tous les autres débats qui entourent ce projet d'Hydro-Québec illustrent à merveille à quel point tout projet devient une course à obstacles, surtout pour une société d'État mythique comme Hydro-Québec - la surveillance de ses moindres gestes est devenue une espèce de sport national.

Il y a bien sûr eu d'autres débats. Le fait que le choix d'Hydro-Québec se soit arrêté sur une firme suisse, Landis " Gyr, plutôt que sur un fournisseur québécois. On a dénoncé les effets sur la santé des ondes émises par ces nouveaux compteurs, de la protection de la vie privée.

Pauline Marois a même réussi à établir un lien avec le scandale de la construction, sur la foi d'une nouvelle-choc, sur un lien avec le clan Rizutto. En fait, Hydro-Québec fait affaire avec une entreprise qui elle-même a fait affaire avec un sous-traitant, qui a lui aussi fait affaire avec un autre sous-traitant, qui a loué un entrepôt à une société à numéro ayant des liens avec l'illustre famille. À ce compte, pas un politicien n'osera aller manger une pizza.

Dans ce dossier, Hydro-Québec est en partie l'artisan de son propre malheur. La société aurait moins prêté flanc à la critique si elle avait bien expliqué son projet. Mais elle a choisi de se cantonner dans les généralités et les phrases vaseuses. «La modernisation de l'infrastructure du réseau d'Hydro-Québec prépare le terrain pour de nombreuses applications. Ce réseau évolutif permettra de nouvelles fonctionnalités qui nous apporteront collectivement des avantages importants.» Quels avantages? Quelles fonctionnalités? Mystère.

En fait, ce qu'Hydro met en place, c'est un smart grid, bidirectionnel, qui, en plus d'une facturation précise, permettra à terme une gestion de la consommation, par exemple en modulant les tarifs en fonction du moment de la journée. Ce progrès technologique, en favorisant une meilleure utilisation de l'énergie, en encourageant de nouvelles habitudes de consommation, constitue aussi un progrès au plan environnemental. C'est le genre de progrès auquel il ne faut pas s'opposer.