Quand il décrit son pays, Étienne Tshisekedi n'a que deux mots à la bouche. Le premier, c'est «jungle.» Et le second: «foire.»

Ce pays, c'est la République démocratique Congo, immense contrée au coeur de l'Afrique que l'on connaît surtout pour ses guerres, ses épidémies de viols et ses richesses minières universellement convoitées.

Un pays soumis à la «loi du plus fort» depuis qu'il a accédé à l'indépendance, il y a 51 ans, déplore Étienne Tshisekedi, qui a l'ambition de changer cette donne. Principal adversaire du président Joseph Kabila à l'élection du 28 novembre, cette figure emblématique de l'opposition congolaise mène actuellement une opération de charme dans les grandes capitales. Son objectif: convaincre l'opinion internationale qu'il a la stature d'un chef d'État et que dans l'éventualité d'une impasse électorale, il mérite le soutien des grands de ce monde.

Au cours des deux dernières semaines, Étienne Tshisekedi est passé par Berlin, Bruxelles, Stockholm, Londres. Avant de faire un crochet par Montréal, puis de s'envoler vers New York et Washington. Ça fait beaucoup de kilomètres pour un monsieur de 79 ans qui sort d'une maladie au cours de laquelle il raconte avoir «frôlé la mort». N'est-ce pas un peu hasardeux de se lancer dans une course à la présidence à son âge? «Mais je suis convaincu que je peux faire deux mandats!», répond le vieux routier de la politique congolaise, que j'ai rencontré lundi dans un hôtel du centre-ville de Montréal.

Avec son complet gris charbon et la casquette qu'il porte vissée sur le crâne, il ne fait pas ses quasi huit décennies. En entrevue, il parle de son désir de moderniser son pays, et se plaint des «manoeuvres» d'un régime qui, de toute évidence, n'a pas l'intention de céder facilement sa place.

La plus grande astuce de Joseph Kabila a été de changer la Constitution congolaise pour permettre l'élection du prochain président dès le premier tour du scrutin, même sans majorité absolue. Il y a près de 300 partis politiques en RDC! Pour gagner dès le premier tour, les opposants doivent s'unir. Un pari qui n'a été gagné qu'à moitié: après de nombreuses tractations, le nombre de candidats à la présidentielle a été réduit à... 11.

Étienne Tshisekedi dénonce aussi une commission électorale pas aussi indépendante que ne le clame son nom, des listes électorales secrètes, sans parler des manoeuvres d'intimidation qui ouvrent la porte aux pires dérapages. Le 6 septembre, la police a violemment dispersé un rassemblement près des locaux de son parti, dans la capitale. Quelques jours plus tôt, des journalistes ont été blessés lors d'une autre manifestation. Les locaux de Radio Lisanga, favorable à Étienne Tshisekedi, ont été incendiés.

«Le peuple congolais ne veut pas de guerre civile, mais il y a des signaux inquiétants», dit le vieil opposant congolais qui s'est colleté avec tous ceux qui ont dirigé son pays depuis cinq décennies.

Il n'est pas le seul à être inquiet. «Je m'attends à beaucoup d'instabilité avant, pendant et après le vote», dit Jean-Claude Dupin, ex-conseiller humanitaire de l'ONU qui a vécu 10 ans en RDC.

«Je suis persuadé qu'Étienne Tshisekedi est la seule personne à pouvoir mettre au monde un nouveau Congo», assure l'ancien ministre péquiste Rémy Trudel, qui agit comme conseiller auprès de celui qu'il appelle «monsieur le président.»

Jean-Claude Dupin confirme qu'Étienne Tshisekedi, aussi appelé «Sphinx de Limete», du nom d'un quartier de Kinshasa, a une réputation de grande intégrité. Mais il a aussi une faiblesse: son intransigeance, qui nuit au projet d'unification des opposants.

Tshisekedi se heurte aussi à des failles géographiques: il est très populaire dans la capitale. Kabila, lui, a eu beaucoup d'appuis dans les provinces de l'est aux élections de 2006.

Bref, les Congolais risquent fort de se réveiller le 29 novembre avec une élection contestée et un pays divisé, selon un scénario semblable à ce qu'on a vu récemment en Côte d'Ivoire. Un scénario à haut risque où l'appui de la communauté internationale peut faire toute la différence.