Tous les gouvernements détiennent des sociétés d'État. Depuis l'époque de la Révolution tranquille, Québec a été très prolifique en cette matière, avec une vingtaine de sociétés créées. Certaines font régulièrement la manchette, d'autres sont méconnues. Dans cette série d'entrevues, notre chroniqueur Michel Girard en rencontre les dirigeants. Aujourd'hui, une entrevue avec François Macerola, président et chef de la direction de la SODEC, une des plus petites sociétés d'État, mais qui a son importance dans la culture québécoise.

La culture québécoise, c'est peut-être le parent pauvre du financement public mais elle n'en constitue pas moins une industrie de 10 milliards par année.

Relevant du petit ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, la SODEC (Société de développement des industries culturelle) dispose d'un modeste budget d'une soixantaine de millions à distribuer dans tous les secteurs de la culture québécoise. Du cinéma à la télévision, en passant par l'internet, le théâtre, le livre, la musique, le disque, les spectacles, les variétés, les métiers d'art, le patrimoine immobilier...

Avec ce peu d'argent, la SODEC fait quasiment des miracles pour permettre à nos entreprises culturelles de survivre dans leur petit marché de huit millions d'habitants, moins des poussières.

À preuve, avec les 60 millions qu'elle distribue annuellement, la SODEC est devenu le moteur économique de cette industrie culturelle qui génère des retombées de 10 milliards par année et 150 000 emplois. Ce qui laisse entendre un retour sur investissement de 167 fois par dollar de subvention.

En poste depuis près de deux ans maintenant, le président et chef de la direction de la SODEC, François Macerola, apprécie ce petit calcul du retour sur investissement.

Il ne veut quand même pas nous duper avec sa SODEC. «Je viens vous parler, comme dirait mon ami Roger Frappier (le prolifique producteur de films québécois), du moins mauvais des pires systèmes», avait-il déclaré lors d'une allocution devant l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision.

Et François Macerola, avocat de formation, sait de quoi il parle quand il qualifie de la sorte le système de financement de la culture. En 36 ans de carrière dans le milieu culturel, il s'est bâti tout un curriculum vitae, à la tête d'organismes publics comme Téléfilm Canada, l'ONF et la SODEC. En plus d'avoir occupé des postes clés au Cirque du Soleil et chez Lavalin (où il a, en autres, travaillé sur un projet immobilier de la Cité du cinéma). Que dire aussi de son incursion dans l'entreprise privée alors qu'il était actionnaire de la société de distribution de films Malofilm?

Sa fierté? De concert avec Roger Frappier, il a notamment été impliqué, précise-t-il, dans le fabuleux film de Denys Arcand, Le déclin de l'empire américain, qui a été nommé aux Oscars. En outre, on lui doit également quelques études majeures dans le domaine du cinéma québécois et canadien.

Des contacts partout

Anecdote politique. En 1998, il avait délaissé Téléfilm Canada pour tenter sa chance en se présentant candidat libéral pour l'équipe de Jean Charest. «Je me suis fait planter.»

Et après? «Ah ça c'est drôle. J'étais en train de dîner avec mon ami Francis Fox [ancien ministre libéral], puis monsieur Chrétien [Jean, le premier ministre du Canada, à l'époque] était à côté, à l'autre table. Je venais juste de perdre mes élections. Il me dit: qu'est-ce que tu vas faire? Je ne sais pas, je vais me trouver une job. Il me dit: pourquoi tu ne retournes pas à Téléfilm Canada? Ben, c'est pas moi qui peux dire ça. Il m'a dit: appelle-moi demain matin. Je l'ai rappelé et il m'a dit: tu recommences...»

Comme vous pouvez voir, François Macerola est fort bien branché, non seulement en culture, mais également en politique.

Que devient la SODEC sous sa houlette? Comme petite société d'État, mais néanmoins acteur clé du «moins mauvais des pires systèmes», la SODEC joue un rôle déterminant dans la survie de nos entreprises culturelles et de leur personnel, tous secteurs confondus.

Mais c'est encore plus criant en cinéma. La SODEC détient une sorte de droit de vie et de mort sur les projets de films. Bien qu'il conteste ce constat, François Macerola admet cependant qu'il est pratiquement impossible au Québec de produire un film sans l'aide financière de la SODEC et de Téléfilm Canada.

La SODEC verse de l'aide financière aux entreprises de tous les autres secteurs d'activités culturelles. Depuis sa création en 1995, la SODEC a notamment aidé plus de 4000 entreprises culturelles, tout en permettant la production de quelque 1150 films. Elle administre aussi le programme provincial des crédits d'impôt versés aux entreprises culturelles.

En gros, la SODEC a été directement impliquée l'an dernier dans des interventions financières de l'ordre de 340 millions de dollars.

Sous l'autorité de la SODEC, on retrouve également une banque d'affaires qui dispose d'une capacité de crédit de 50 millions de dollars. La SODEC est partenaire dans la FIDEC, une société en commandite de 46 millions, financée par la SODEC, le Fonds de solidarité de la FTQ, la Banque Nationale, Groupe TVA, evenko, Spectra et France Film. Elle est aussi présente dans le FICC, un fonds d'investissement dans la culture de 30 millions.

Et le mois prochain, débutera le Fonds Capital Culture Québec (FCCQ), dont la capitalisation est assurée par une contribution de 60 millions du Fonds FTQ et de 40 millions du gouvernement du Québec, par l'entremise de la SODEC. Ce fonds, explique M. Marcerola, s'adresse aux entreprises culturelles exportatrices.

Le défi de l'heure de François Macerola? Essayer de regrouper en un événement unique les principaux festivals de cinéma qui se déroulent annuellement à Montréal, dont le Festival des films du monde (FFM) de Serge Losique, le Festival du nouveau cinéma (FNC) de Nicolas Girard Deltruc et Claude Chamberlan (cofondateur programmeur) et Fantasia de Pierre Corbeil.

Son objectif? Regrouper les festivals en un événement permettrait d'économiser sur les dépenses administratives, de mettre en place une seule billetterie, de faciliter la recherche de grands commanditaires... Et tout cela dans le but ultime de consacrer encore plus d'argent dans la programmation des festivals.

Que l'on l'appelle Montréal en films, Montréal en vues ou Montréal en images..., M. Macerola souhaite que son rêve devienne réalité.

Par ailleurs, que le monde de la culture se rassure, le gouvernement Charest ne devrait pas lui couper les vivres dans le cadre de la nouvelle ronde des compressions budgétaires de 800 millions annoncées la semaine dernière.

C'est du moins le «feeling» de M. Macerola.

«Moi, le feeling que j'ai: ça me surprendrait beaucoup que monsieur Charest coupe dans le domaine de la culture. Qu'est-ce que le gouvernement peut couper à la SODEC? Monsieur Charest dit qu'il ne coupera pas dans les services aux gens. Mon argent, moi, il est placé dans les programmes d'aide à la clientèle, à 90% ou 95%. Mon infrastructure est petite: 112 personnes pour administrer un grand nombre de programmes et services.»

Il faut voir dans ce message de M. Macerola une sorte de mise en garde au gouvernement Charest. Il n'y a rien de pire pour les politiciens que de s'attaquer au monde de la culture.

Fin politicien dans l'âme, M. Macerola lui rend ainsi service, surtout en cette période où Guy A. Lepage et Dany Turcotte reprennent du service à Tout le monde en parle, à partir de dimanche prochain. Ce ne serait pas une bonne idée pour le gouvernement Charest d'y remplacer le gouvernement Harper comme tête de Turc en matière de compressions dans le domaine culturel, un des sujets chéris de la populaire émission dominicale.

Photo Robert Skinner, archives La Presse

En poste depuis près de deux ans maintenant, le président et chef de la direction de la SODEC, François Macerola, ne veut pas duper les gens. «Je viens vous parler, comme dirait mon ami Roger Frappier, du moins mauvais des pires systèmes», avait-il déclaré lors d'une allocution devant l'Académie canadienne du cinéma et de la télévision.