Comme tout le monde s'y attendait, le président Barack Obama a affirmé hier que les riches Américains devraient faire leur «juste part» pour sortir les finances publiques américaines du cul-de-sac où elles se sont enfoncées.

En gros, le redressement des finances publiques représente un effort de colossal de 4400 milliards US sur 10 ans.

Les démocrates et les républicains se sont déjà entendus durant l'été sur des compressions de 1200 milliards. Hier, le président démocrate a rappelé où il entend trouver la différence de plus de 3000 milliards: la moitié proviendrait de compressions additionnelles (principalement au budget de la Défense, avec le retrait des troupes d'Irak et d'Afghanistan), et l'autre moitié de hausses d'impôts, dirigées particulièrement vers les entreprises et les contribuables à revenus élevés.

Dans les faits, ces propositions ont peu de chances d'être adoptées. Les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, s'opposent farouchement à toute hausse des impôts.

Mais on n'a pas fini pour autant d'en entendre parler: l'impôt des riches risque de devenir l'enjeu majeur de la présidentielle de 2012.

Une image très forte a frappé l'opinion publique il y a quelques semaines, lorsque le milliardaire (et partisan démocrate) Warren Buffett s'est dit d'accord pour payer davantage de taxes. Il a cité des chiffres saisissants. Écoutons-le: «L'an dernier, a-t-il déclaré, j'ai gagné 46 millions et, sur ce montant, j'ai payé 17,7% d'impôts; pendant ce temps, ma secrétaire, qui gagne 60 000$, a payé 30% d'impôts.»

Pourquoi les millionnaires ne font-ils pas, à tout le moins, un effort aussi important que les contribuables à revenus moyens?

Il y a une explication pour cela. La vaste majorité des contribuables tirent l'essentiel de leurs revenus d'emploi. Mais plus vous êtes riche, plus vous avez de l'argent pour investir, et plus vous avez la possibilité de réaliser des gains en capital. Or, dans le régime fiscal américain, les gains en capital sont moins taxés que les revenus du travail. C'est d'ailleurs la même chose au Canada et dans la plupart des pays industrialisés. Les gouvernements considèrent que c'est une façon d'encourager l'investissement. Mais aux États-Unis, le problème a atteint une dimension unique. Trois administrations (Reagan, Clinton et Bush fils) ont fait passer le taux d'imposition des gains en capital de 28 à 15% en quelques années. Ce sont les plus riches qui en ont le plus profité, et le président Obama, en voulant les faire payer leur «juste part», a des chances de plaire à un vaste électorat.

Sauf que la bataille est beaucoup plus symbolique qu'autre chose. Même dans un pays qui compte autant de millionnaires, les riches ne sont pas assez nombreux pour contribuer de façon significative à l'assainissement des finances publiques.

Dans le Wall Street Journal de lundi, le chroniqueur spécialisé John D. McKinnon fait une démonstration éloquente. Il y a, aux États-Unis, 22 000 ménages gagnant au moins un million par année (cela inclut évidemment les super-riches qui comptent leurs revenus non en millions, mais en dizaines de millions), et qui ont payé en 2009 moins de 15% d'impôt sur leurs revenus. En plein le genre de contribuables ciblés par le discours de M. Obama.

Or, ces 22 000 ménages ont payé en moyenne 845 000$ d'impôts. Cela nous donne près de 19 milliards. Mettons maintenant que l'on multiplie leur fardeau fiscal par deux, mesure assez radicale on en conviendra, Cela rapporterait donc 19 milliards de plus au Trésor public américain, ou 190 milliards sur 10 ans. Je rappelle qu'il s'agit ici de combler un trou de 4400 milliards.

Clairement, ce n'est pas en taxant les riches que les États-Unis rétabliront leurs finances. C'est bon pour l'image, mais c'est hautement insuffisant.

Le président parle aussi de faire payer les entreprises. Discours qui a lui aussi des chances de plaire, mais qui comporte des effets pervers sur l'économie. Les hausses d'impôts des sociétés sont invariablement refilées à des personnes physiques comme vous et moi: clients, employés, actionnaires, fournisseurs. Ce n'est certainement pas la meilleure façon de relancer un marché du travail handicapé par un taux de chômage de 9,1%.

Républicains et démocrates ont beau s'engueuler tant qu'ils veulent sur la place publique, tous deux passent à côté de la réalité.

La réalité, c'est que les Américains (pas seulement les riches) sont les contribuables les moins taxés des pays industrialisés. Les États-Unis n'utilisent qu'une partie de leur capacité fiscale. Un exemple: avec une taxe fédérale de vente de 4%, le gouvernement pourrait éliminer son déficit en moins de trois ans. Mais un projet comme celui-là ne passera jamais, parce que les Américains se considèrent déjà comme surtaxés. Il est là, le vrai problème.