La tourmente financière qui secoue l'Europe offre un contraste saisissant avec l'enthousiasme délirant qui dominait le paysage il n'y a pas si longtemps.

Rappelons-nous mai 2004, c'était il y a sept ans. L'Union européenne accueillait en bloc 10 nouveaux membres, surtout des satellites de l'ancien empire soviétique.

L'allégresse était à son comble. Avec un produit intérieur brut (PIB) de 9900 milliards à l'époque, la nouvelle Europe formait même une puissance économique égale à celle des États-Unis. Tous les espoirs étaient permis.

Comment a-t-on pu, en si peu de temps, en arriver au chaos actuel?

En fait, le cauchemar où sont rendus les Européens pouvait être prévisible.

Une des grandes faiblesses de l'Union européenne, c'est l'absence d'un cadre financier contraignant. Sur les 27 pays membres, 15 font partie de la zone euro. Cela signifie que tous sont sur le même bateau. Si l'un des 15 est mal pris, ce sont les 14 autres qui écopent.

Certes, à Maastricht, on a prévu des conditions pour adhérer à l'euro: plafonnement du déficit budgétaire à 3% du produit intérieur brut (PIB), à de la dette publique à 60%. Mais ces contraintes n'existent en grande partie que sur papier. Les deux locomotives de l'Europe, l'Allemagne et la France, n'ont pas hésité à les outrepasser quand cela faisait leur affaire.

Avec la Banque centrale européenne, les 15 pays de la zone euro ont réussi à créer une politique monétaire commune. C'est bien, mais ce n'est pas assez. Pour ménager les susceptibilités nationales, chaque pays conserve son emprise sur ses politiques fiscales et, dans une très large mesure, sur ses politiques budgétaires.

En l'absence de contraintes, le gouvernement irlandais a pu absorber les mauvaises créances des banques irlandaises, plongeant du même coup les finances du pays dans la géhenne - et nuisant par ricochet à tous ses partenaires de la zone euro. C'est aussi cela qui a permis à la Grèce, au Portugal, à l'Italie, à l'Espagne et à plusieurs autres (y compris la France) de vivre au-dessus de leurs moyens pendant des années. Pire, la Grèce est même allée jusqu'à trafiquer ses états financiers.

Évidemment, un tel manque de coordination et de politique commune fait de l'euro une cible facile pour les spéculateurs.

Les pays de l'Union européenne qui ont conservé leur monnaie (Royaume-Uni, Danemark, pays de l'Europe de l'Est) restent à l'écart de la crise. Certains adhérents récents comme l'Estonie, la Bulgarie et la Lettonie figurent même, sur le plan des finances publiques, parmi les meilleurs élèves de la classe.

L'Union européenne, depuis sa création en 1957, doit aussi faire face à un énorme problème économique qu'elle n'a pas encore réussi à régler: les abyssales disparités régionales.

Ces écarts sont en partie responsables de la crise de la zone euro. Une des raisons pour lesquelles les Grecs se sont surendettés, c'est qu'ils voulaient rattraper rapidement le niveau de vie des autres Européens.

Au début, il y a 34 ans, la Communauté économique européenne comptait six membres: Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas. Tout de suite, on voit que l'ensemble compte un maillon faible: le sud de l'Italie, dont le niveau de développement était largement en dessous de la moyenne. Il le demeure toujours, malgré les milliards fournis par les autres, et notamment par les Allemands. Derrière une belle façade d'unité, le financement du Mezzogiorno a toujours constitué une source de tensions entre Européens.

L'Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark ont adhéré en 1973; la Grèce en 1981; l'Espagne et le Portugal en 1986; l'Autriche, la Suède et la Finlande en 1995; en 2004, comme on l'a vu plus haut, l'Union européenne accueille en bloc 10 nouveaux membres; Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque. Trois ans plus tard, la Roumanie et la Bulgarie sont acceptées.

Une chose saute aux yeux: dans cette liste de pays, il y a un peu de tout.

Les Luxembourgeois sont sept fois plus riches que les Bulgares. À titre de comparaison, aux États-Unis, l'écart entre l'État le plus riche (le Delaware) et le plus pauvre (le Mississippi) va du simple au double, ce qui est déjà beaucoup. Imaginez sept fois!

Les grandes puissances côtoient des micro-États. La taille de l'économie allemande est 292 fois plus importante que celle de Malte, membre à part entière de l'Union. Le taux de chômage aux Pays-Bas est négligeable, mais il atteint le niveau intolérable de 20% en Espagne. On pourrait multiplier les exemples.

Dans ces conditions, on comprend que l'Europe des riches devra continuer de consentir des sacrifices importants... ou, peut-être, décider de larguer les mauvais élèves.