Des huit propositions soumises au vote des actionnaires de Couche-Tard, lors de l'assemblée du détaillant mardi dernier, c'est celle sur la tenue d'un vote consultatif sur la rémunération de la direction qui a récolté le plus d'appuis.

À première vue, un appui à hauteur de 8%, ce n'est rien pour écrire à sa mère. Mais si l'on exclut les actions à droit de vote multiple, qui sont contrôlées par Metro, le management de Couche-Tard ou des personnes apparentées, les actionnaires «indépendants» ont réclamé dans une proportion de plus de 40% la tenue d'un tel vote. C'est donc une tout autre histoire.

Le grand patron de Couche-Tard, Alain Bouchard, a pris acte de cette volonté. Il s'est dit ouvert à examiner la pertinence d'un vote consultatif sur la rémunération. «Toutes les entreprises évoluent», a-t-il noté.

Si Alain Bouchard ne s'est pas rebiffé, lui qui, en d'autres dossiers, peut se montrer assez obstiné, c'est que le vote consultatif sur la rémunération est devenu «socialement acceptable» dans le monde des affaires.

Il faut voir que les premières expériences canadiennes indiquent que le vote consultatif n'a pas fait de vagues chez les entreprises qui en ont fait l'expérience. C'est ce qui ressort de deux études récemment menées par les consultants en rémunération Hugessen et par le Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (MEDAC).

Au Royaume-Uni et en Australie, les entreprises à capital ouvert sont tenues depuis plusieurs années de consulter leurs actionnaires sur leur politique de rémunération. Ces votes ne sont toutefois pas contraignants.

Aux États-Unis, ce vote consultatif est obligatoire depuis 2011. Il a été imposé aux entreprises américaines inscrites en Bourse par la bande, dans le cadre de la loi Dodd-Frank qui réforme les institutions financières.

Au Canada, par contre, le vote consultatif sur la rémunération gagne les entreprises une à une. Après s'être fait talonner par les groupes de défense des petits actionnaires, les grandes banques, les assureurs et BCE ont donné l'exemple. Puis, d'autres entreprises leur ont emboîté le pas.

Ce mouvement pourrait bien s'étendre maintenant que les entreprises à charte québécoise peuvent accueillir des propositions d'actionnaires, ce qui n'était pas le cas avant cet été.

Les votes consultatifs qui ont été tenus depuis le début de l'année permettent néanmoins de dégager certains constats.

Dans une étude diffusée cette semaine, la firme Hugessen a examiné les résultats des votes consultatifs tenus depuis janvier auprès des actionnaires de 70 entreprises. Dans une étude publiée en juillet, le MEDAC s'est intéressé lui aux 37 votes recensés sur le système Sedar entre le 1er janvier et le 15 juin.

Première évidence: aucune entreprise canadienne n'a «perdu» son vote consultatif en récoltant un taux d'approbation inférieur à 50%. En fait, la firme Hugessen a calculé que le taux d'approbation moyen des politiques de rémunération au Canada est de 94%!

Il s'agit d'un taux légèrement supérieur à celui observé aux États-Unis en 2011. Les votes de 2200 entreprises recensés par James Barrall, du cabinet Latham & Walkins, indiquent un taux d'approbation moyen de 91%.

Quarante entreprises ont perdu leur vote aux États-Unis, dont le géant de l'informatique Hewlett-Packard. Dans ce pays où les rémunérations et avantages sociaux peuvent atteindre des niveaux stratosphériques et où les relations entre entreprises et investisseurs activistes sont plus conflictuelles, ce n'est pas surprenant. Toutefois, cette condamnation des actionnaires a touché moins de 2% des entreprises qui ont tenu des votes.

Si les actionnaires canadiens n'ont pas rejeté en bloc la rémunération de leurs dirigeants, certains ont tout de même exprimé un fort mécontentement.

Sept des 37 entreprises étudiées par Louise Champoux-Paillé, ex-administratrice du MEDAC, ont vu leur politique de rémunération rejetée par plus de 10% de leurs actionnaires. Il s'agit de PanAmerican Silver (24,1%), de Telus (19,5%), de Manuvie (17,4%), de Ballard Power Systems (15,6%), de TransAlta (13,9%), de la Banque Royale (11,4%) et de Nexen (11,2%).

Mais la palme revient à Thompson Creek Metals, dont la politique de rémunération a été rejetée par le tiers (36%) de ses actionnaires. Le consultant en votation ISS avait recommandé aux actionnaires de rejeter la politique de rémunération de ce producteur de molybdène.

Même en dessous du seuil de la majorité, le message passe clairement. Aussi, les entreprises ont tout intérêt à préparer le terrain avant le vote, à consulter et à jouer la carte de la transparence pour éviter une gifle en public. Et surtout à modérer leurs transports, notamment avec les primes de départ excessives qui mettent le feu aux poudres. Car ces votes, quoi qu'on pense de leur utilité, rendent les actionnaires plus vigilants.

Le résultat du vote chez Thompson Creek Metals met aussi en relief l'influence grandissante des consultants pour investisseurs institutionnels comme ISS ou Glass Lewis, une firme de San Francisco qui appartient à Teachers', la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario.

Si ces deux grandes firmes ne se sont pas prononcées sur beaucoup de politiques canadiennes, leur influence se fait sentir aux États-Unis, observe Hugessen Consulting. Au point où les entreprises qui voient leur politique de rémunération dénoncée sont de plus en plus promptes à réagir.

Après un désaveu d'ISS, General Electric a consulté ses principaux actionnaires. Par la suite, le conglomérat a changé les conditions d'octroi des 2 millions d'options que l'entreprise avait consenties à Jeffrey Immelt, son chef de la direction. Jeffrey Immelt ne pourra exercer ses options que si GE atteint ses cibles financières.

Qu'une entreprise de cette envergure se rende aux arguments d'ISS, cela donne le ton pour les années à venir.