Comme un tourbillon, c'est une rumeur qui s'est amplifiée d'elle-même au cours des derniers jours. Et si la vente de la principale institution boursière du pays au groupe Maple avortait?

Toute cette effervescence, il faut le souligner, ne s'appuie sur aucune information nouvelle.

À l'heure actuelle, on ignore tout de la réflexion des autorités antitrust du Canada. On ignore tout des délibérations des commissions des valeurs mobilières du Québec et de l'Ontario. Et on ignore tout des pourparlers entre le consortium Maple et le groupe TMX, qui chapeaute les bourses de Toronto et de Montréal.

Le Bureau de la concurrence et les commissions des valeurs posent des questions. Et Luc Bertrand et ses collaborateurs du groupe Maple y répondent du mieux qu'ils peuvent, ayant même escamoté leurs vacances été. Voilà tout ce que l'on sait.

Malgré tout, le cours de l'action du groupe TMX est très éloigné du prix que fait miroiter Maple. Ce consortium, qui regroupe 13 des plus grands acteurs financiers du pays, offre 50$ par action, dont 40$ payés comptant. Or, à la fermeture des marchés hier, l'action de TMX valait seulement 40,47$, soit près de 10$ en moins.

À l'évidence, les investisseurs ont peur que cette transaction ne voie jamais le jour. Et c'est une peur qui s'alimente d'elle-même.

Un influent chroniqueur torontois a même spéculé sur un possible retour de la Bourse de Londres, qui rappliquerait comme acquéreur du TMX advenant que le Bureau de la concurrence mette son veto à cette transaction de 3,7 milliards de dollars.

Mais ce scénario paraît improbable. Après avoir maladroitement tenté de mettre en relief ses liens familiaux avec Montréal, le grand patron de la Bourse de Londres, Xavier Rolet, s'est heurté à une opposition nationaliste farouche de la finance canadienne, et en particulier du Québec inc. Le monde est grand, et avec les 39 millions en frais de résiliation qu'elle recevra, la Bourse de Londres ira voir ailleurs.

Cela dit, les actionnaires du TMX ont raison de craindre un veto du Bureau de la concurrence qui ferait dérailler cette transaction.

Le Groupe Maple a mis la barre bien haut en affirmant d'entrée de jeu que cette transaction est conditionnelle à ce que le Bureau de la concurrence bénisse la fusion de la Bourse de Toronto et de son principal concurrent dans les actions, la plateforme de négociation Alpha.

Cette fusion concentrerait plus de 80% du volume de négociation d'actions au pays au sein d'une entreprise. Même si les barrières à l'entrée sont peu élevées dans la négociation, un tel pourcentage pourrait bien inquiéter Melanie Aitken, commissaire de la concurrence du Canada.

Sous sa direction, le Bureau de la concurrence n'a pas hésité à se servir de ses nouveaux pouvoirs pour s'attaquer aux industries du courtage immobilier, des cartes de crédit et du transport aérien.

Cette crainte exprimée dès les premiers jours du consortium Maple n'a toutefois rien de nouveau. Ce qui a changé, c'est le recul généralisé des marchés boursiers. Ce mouvement est particulièrement marqué depuis août en raison de la crise de l'endettement de l'Europe, de l'impasse à Washington et de la stagnation économique aux États-Unis.

Dans le contexte, l'offre de 50$ par action, bonifiée à la fin de juin, paraît singulièrement généreuse. Cette prime n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'offre de la caisse de retraite Teachers' sur BCE, dont le prix reflétait les valeurs avant l'éclatement de la crise financière. Un prix à ce point élevé que Teachers' a fini par trouver le moyen de se désister...

Maple éprouve-t-elle des remords? Chose certaine, la pression financière n'est pas aussi forte sur ce consortium en raison de ses nombreux membres.

Déjà actionnaires du Groupe TMX, ces institutions financières, dont la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins, n'auront pas besoin de débourser beaucoup d'argent. Pour financer cette transaction, ils comptent puiser dans les liquidités du groupe TMX et emprunter 1,2 milliard.

Par contre, la fusion des activités de la Bourse de Toronto à celles d'Alpha est clairement centrale à la rentabilité de cette transaction. Luc Bertrand s'évertue à parler de son projet d'intégration verticale de la Bourse de Toronto, sur le modèle de la Bourse de Montréal. L'institution montréalaise chapeaute à la fois la négociation des produits dérivés et leur compensation, soit la tuyauterie derrière les transactions.

Mais à l'évidence, ces synergies éventuelles sont insuffisantes à elles seules pour justifier cette offre d'achat de 3,7 milliards. Pour que Maple rentabilise son projet, le consortium doit ravir la quasi-totalité de la négociation des actions.

Le problème, c'est que cette même ambition de Maple pourrait bien être à l'origine de sa perte.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca