La nouvelle ne manque pas d'ironie. Quatre jours après avoir annoncé le délestage prochain de sa division PC, le géant informatique Hewlett-Packard (HPQ) a dévoilé hier un nouvel ordinateur de bureau de la famille Elite !

Les vendeurs de HP, on l'imagine sans peine, auront bien du mal à s'enthousiasmer pour cet ordi «nouveau et amélioré», avec une performance de 40% supérieure, selon ce que claironne HP.

Ce pionnier de l'informatique est en train de tourner le dos à son passé de fabricant de micro-ordinateurs. C'est l'un des pans de la restructuration hautement ambitieuse de HP. Du coup, ce groupe renie complètement l'acquisition de Compaq, une transaction de 24 milliards US conclue dans la controverse en 2001.

À côté de cette acquisition, le feuilleton du renvoi de l'ex-PDG Mark Hurd, qui a défrayé la chronique l'an dernier, tient de la mondanité (le conseil d'administration de HP a congédié Hurd à la suite d'irrégularités dans ses notes de frais découvertes lors d'une enquête pour harcèlement sexuel).

La présidente de HP à l'époque, Carly Fiorina, s'est battue bec et ongles pour faire approuver cette transaction. Elle s'est butée à l'opposition du fils du cofondateur William Hewlett, Walter Hewlett, un musicien et universitaire qui siégeait aussi au conseil de l'entreprise. La bataille de procurations, qui a duré des mois, a pris les allures d'une campagne électorale américaine, avec des attaques personnelles qui fusaient de toutes parts.

Avec l'achat de Compaq, HP a surpassé Dell pour devenir le premier fabricant d'ordinateurs au monde. Se classer impérativement au premier ou au second rang de son industrie, telle est la célèbre doctrine de Jack Welch, l'ancien grand patron de General Electric. Mais encore faut-il que ce soit une industrie d'avenir. Ce qui n'est plus le cas du PC, dont le marché est bouleversé de fond en comble.

La concurrence féroce a fait fondre les marges de profit des PC, qui se négocient de plus en plus comme des matières premières. Au dernier trimestre, par exemple, la division des micro-ordinateurs représentait 31% des ventes de HP, mais seulement 17% de ses profits d'exploitation.

La dernière récession a fait chuter la demande. Et cette baisse s'est accélérée avec la venue de l'iPad et des autres tablettes, de concert avec la mise en marché de téléphones intelligents de plus en plus performants. Ces appareils permettent de surfer sur la Toile, de lire des courriels et de jouer à des jeux, des fonctions simples qui contentent une majorité de consommateurs.

En mode mobilité, le monde bouge, mais HP est restée trop longtemps fixée à son bureau.

HP a bien essayé de rattraper le temps perdu, en achetant en avril 2010 le fabricant de téléphones intelligents Palm et en tentant de populariser son système d'exploitation pour sans-fil webOS. Mais ce système n'a pas réussi à s'imposer, éclipsé par la concurrence d'Apple et de Google, avec son univers Android.

Peu de programmeurs ont conçu des applications pour ce système. Et les consommateurs ont boudé la tablette HP TouchPad, même soldée.

Léo Apotheker, qui préside HP depuis novembre dernier, a eu le courage de reconnaître cet échec de HP. Plutôt que de s'entêter à développer l'univers webOS, ce qui aurait exigé des investissements considérables sans aucune garantie de succès, il a préféré fermer le robinet. HP cessera de vendre tous les appareils s'appuyant sur webOS.

L'avenir de HP passe dorénavant par le logiciel, a décidé Léo Apotheker, un ancien PDG de SAP, en annonçant l'acquisition, au prix de 10,3 milliards US, de la firme Autonomy. Le numéro deux du logiciel au Royaume-Uni commercialise des systèmes qui permettent aux grandes entreprises d'identifier des tendances et d'extraire des informations pertinentes à partir de montagnes de données non structurées comme des courriels.

Ce virage ressemble à la démarche entreprise par IBM. En 2005, «Big Blue» a cédé à la société chinoise Lenovo toutes ses activités de fabrication de micro-ordinateurs, pour se concentrer sur des services informatiques à valeur ajoutée.

Si la stratégie de HP est tout à fait logique, l'exécution pose déjà problème.

De mémoire, IBM n'avait pas annoncé à l'avance que la société «explorait toutes les solutions» pour sa division PC, un euphémisme qui signifie que l'entreprise vient de planter une pancarte à vendre. IBM avait annoncé la transaction avec Lenovo après la conclusion d'une entente de principe.

En dévoilant son intention de se départir de ses PC, Hewlett-Packard démobilise ses employés et fait fuir les clients. Ainsi, la vente du tiers de l'entreprise pourrait rapporter beaucoup moins qu'espéré.

En contrepartie, HP a payé le gros prix pour la firme Autonomy, avec une prime de 64 % sur le cours de fermeture précédant l'annonce de jeudi. À croire, comme dans le cas de Motorola, que la chute prononcée des valeurs depuis ce printemps n'a eu aucun effet sur les négociations !

Qui plus est, HP part de beaucoup plus loin qu'IBM dans le logiciel. Les logiciels ne représentaient que 2,5% des revenus de 31,2 milliards US du groupe à son troisième trimestre.

Encore heureux que les imprimantes restent une vache à lait.

Avec ce changement de cap, HP joue son va-tout. Mais en annonçant la mort du PC, cette entreprise de Palo Alto pourrait aussi être en train d'écrire son éloge funèbre.

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Pour joindre notre chroniqueuse : sophie.cousineau@lapresse.ca