Décidément, les marchés boursiers font passer de bien mauvaises vacances aux dirigeants français qui, à la demande du président Nicolas Sarkozy, ont dû interrompre leurs séjours sur la Côte d'Azur pour rentrer de toute urgence à Paris.

Annonce d'une rencontre au sommet entre Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel, mardi (voir autre texte). Sortie du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, qui a cherché à rétablir les faits sur la «solidité financière des banques françaises» attaquées par des «rumeurs infondées». Surveillance étroite de l'Autorité des marchés financiers, à qui la Société Générale a demandé d'enquêter sur l'effondrement de son titre cette semaine.

Ces interventions n'ont pas calmé le jeu en Bourse, hier. Les titres ont évolué en dents de scie jusqu'à ce que la baisse des inscriptions au chômage aux États-Unis ne tire tous les indices européens vers le haut.

L'indice phare de la Bourse de Paris, le CAC-40, qui est tombé un moment sous le seuil psychologique des 3000 points, a fini par relever la tête. À 3090 points, il accuse néanmoins une baisse de 25% en trois mois.

Deux rumeurs se sont abreuvées à l'incertitude ambiante au cours des derniers jours pour faire des ravages. La première, sur une prochaine décote de la deuxième économie d'Europe, est clairement alarmiste.

Même si la France est le pays le plus endetté dans le club du AAA (88% de son PIB), même si la réduction de son déficit repose sur des prévisions économiques optimistes, aucune des trois grandes agences de notation de crédit n'a l'intention d'abaisser la cote de l'Hexagone.

Cependant, la fragilité des institutions financières françaises, au premier chef la Société Générale, n'est pas si farfelue que cela. N'en déplaise à l'élite française qui prétend le contraire.

Il y a un vieux dicton qui raconte que, quand tu es incapable de rembourser un prêt de 20 000 dollars, tu as de sérieux soucis. Mais quand tu es incapable de rembourser un prêt de 20 milliards de dollars, c'est ton banquier qui se trouve dans le pétrin.

Aucun pays n'a prêté autant d'argent à la Grèce que la France, selon les données trimestrielles du Bank for International Settlements. À hauteur de 56,7 milliards d'euros, les prêts des banques françaises représentent 17% de la dette grecque, de 340 milliards d'euros.

Au deuxième rang, mais loin derrière, suit l'Allemagne, avec des prêts totalisant 33,9 milliards d'euros.

On a fait grand cas des obligations grecques, fortement dépréciées. Mais les banques françaises, qui ont des succursales en Grèce, y ont prêté de deux à trois fois plus d'argent à des institutions, à des entreprises et à des particuliers. Or, ces emprunteurs sont aussi à risque de se trouver en défaut, alors que la Grèce, assommée par des mesures d'austérité, traverse une récession sévère.

Et s'il n'y avait que la Grèce! Car l'exposition des banques françaises aux autres moutons noirs de l'Europe est aussi élevée.

L'Union européenne a récemment testé la solidité des banques du Vieux-Continent. Des 90 institutions examinées, seulement 8 ont échoué un exercice de simulation qui visait à vérifier si elles survivraient à une contraction de deux ans. (Ce qui a d'ailleurs fait dire à certains que ces fameux «stress tests» n'étaient pas assez sévères.)

Pour subir cet examen, ces banques ont été forcées de transmettre des milliers de données qui permettent pour la première fois d'établir des comparaisons entre pays.

En date du 31 décembre, les quatre premières banques françaises (BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE et Société Générale) avaient prêté près de 300 milliards d'euros à des institutions, des entreprises et des particuliers établis en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne.

En comparaison, les 12 plus grandes banques d'Allemagne ont prêté 174 milliards d'euros à des entreprises et à des particuliers de ces pays, a analysé le Wall Street Journal.

Les banques les plus vulnérables ont commencé à radier une partie de leurs prêts. Mercredi, le deuxième groupe bancaire d'Allemagne, Commerzbank, a effacé la quasi-totalité de ses profits du deuxième trimestre avec une charge de 760 millions d'euros.

Quelques jours plus tôt, le 3 août, la Société Générale a radié 395 millions d'euros, soit le cinquième (21%) de ses obligations d'État grecques.

La deuxième banque de France est parmi celles qui dépendent le plus de la disponibilité du financement à court terme, selon les analystes de la Royal Bank of Scotland, cités par l'agence Bloomberg. Voilà pourquoi le titre de la Société Générale a été le plus sévèrement puni, selon RBS. À 23 euros, cette action a perdu 47% de sa valeur depuis le début mai.

Ce financement est toujours accessible, contrairement à la crise financière de 2008. Toutefois, le taux interbancaire au jour le jour vient de grimper, signe de la nervosité des banques qui sont plus réticentes à se prêter de l'argent entre elles.

«Les Français et les Allemands ne se gênent pas pour traiter les Grecs et les Portugais d'alcoolos, mais ils ont l'air d'oublier que c'était eux, les barmans de la fête», note Angelo Katsoras, analyste géopolitique associé à la Financière Banque Nationale.

Pour Angelo Katsoras, le système financier peut s'en tirer tant que l'Europe tient le coup. Mais les tensions politiques sont vives. D'un côté, les Français et les Allemands qui n'ont plus envie de réparer les amphores cassées en Grèce, d'autant plus qu'ils ont à composer avec leurs propres problèmes. De l'autre, les Grecs, Portugais, Espagnols et Italiens qui rejettent les mesures d'austérité et qui souffrent d'un euro fort.

«Le danger, c'est que quelqu'un se lasse et arrête de jouer dans ce stratagème à la Ponzi», dit Angelo Katsoras.

Bref, à regarder ce qui se passe actuellement en Europe, les observateurs sont pris de vertige. Un vertige qui n'est pas sans rappeler cette phrase-choc du film français La haine, sur une société qui se désintègre. Jusqu'ici, tout va très bien...