On a beaucoup parlé au cours des dernières années du déclin de Montréal comme place financière. Mais ce n'est malheureusement pas la seule industrie montréalaise qui connaisse actuellement un passage à vide. L'industrie des télécommunications, qui faisait jadis la fierté de la métropole, n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était.

Dans une autre vie, je couvrais ce secteur. Un peu par défaut. À mon arrivée à La Presse, à la fin des années 90, aucun de mes collègues de la section économie ne s'intéressait aux télécoms. Pourtant, ai-je rapidement réalisé, les grosses nouvelles ne manquaient jamais.

Non seulement Montréal pouvait-il se targuer d'avoir des sociétés de services de télécommunications, mais il comptait aussi des équipementiers. Pour un grand comme Nortel, l'on dénombrait plusieurs petits acteurs comme SR Télécom ou encore Mindready.

Dans une industrie où la technologie et l'environnement réglementaire évoluent très rapidement, il n'est pas étonnant que la sélection naturelle soit impitoyable. Aujourd'hui, il serait impensable qu'une entreprise survive en offrant des services téléphoniques interurbains, comme Fonorola le faisait à une autre époque.

La consolidation a aussi fait son oeuvre. Quebecor a acquis Vidéotron en 2000, un câblodistributeur qui avait mis la main sur son voisin CF Câble en 1996. Rogers Communications a avalé Microcell en 2004; avec ses prix coupés qui narguaient la concurrence, son service Fido énervait autant les opérateurs établis qu'un petit chien qui ne cesse d'aboyer.

Quoi qu'il en soit, on pouvait toujours compter sur BCE, dont la grande famille a toujours été omniprésente à Montréal. Même si la vénérable société de téléphone, fondée en 1880, a connu plusieurs métamorphoses, ses filiales - actuelles et anciennes - étaient toujours bien présentes au Québec.

Mais même cette certitude ne semble plus tenir, alors que la forteresse de BCE semble s'effriter sous nos yeux.

Nul besoin de ressasser la triste histoire de Nortel. Au début de 2001, l'entreprise employait 6000 employés dans la grande région de Montréal, la majorité dans ses bureaux et usines de Saint-Laurent.

L'ironie aura voulu que ce soit une autre ex-filiale de Bell Canada qui ait emménagé dans les anciens locaux de Nortel à L'Île-des-Soeurs, Yellow Media. Toutefois, le logo de l'ancien Groupe Pages Jaunes, bien visible à la sortie du pont Champlain, brille moins fort qu'auparavant.

Les investisseurs sont hautement sceptiques du plan d'affaires de cet éditeur d'annuaires téléphoniques. Les revenus de ses nouveaux services numériques n'ont toujours pas réussi à compenser le déclin de ses activités traditionnelles. Aussi, alors que son titre s'est effondré en Bourse (il ne valait plus que 81 cents hier), certains s'inquiètent pour l'avenir à plus long terme de l'entreprise.

BCE, qui a aussi déménagé son siège social à L'Île-des-Soeurs, est en bien meilleure posture financière. Le hic, c'est que sa haute direction y est moins présente que jamais.

Bell vient de perdre son lieutenant québécois. La nouvelle a été diffusée de façon discrète dans un communiqué publié le 18 juillet.

Stéphane Boisvert, le président de la division des marchés d'affaires, âgé de 48 ans, a quitté l'entreprise pour une raison inexpliquée, cinq années après son arrivée de chez Sun Microsystems.

Interrogée à ce sujet, la porte-parole de Bell, Marie-Ève Francoeur, s'est contentée de dire qu'il s'agissait de «raisons personnelles», sans préciser lesquelles.

Cette division des marchés d'affaires était auparavant dirigée par Isabelle Courville, maintenant passée chez Hydro-Québec. C'est le Torontois Tom Little, ancien grand patron des services de gros, qui remplace Stéphane Boisvert.

Dans un courriel acheminé en toute fin de journée, Marie-Ève Francoeur a précisé que Tom Little se cherchait une résidence à Montréal, bien qu'il ait été impossible de savoir s'il s'agissait d'un simple pied-à-terre ou d'une résidence principale. «Il séparera son temps entre le siège social de Bell à Montréal et les opérations de Bell marchés d'affaires à travers le pays», a-t-elle écrit.

Aucun des hauts dirigeants de BCE n'a pris l'autoroute 401 en direction de Montréal depuis que George Cope est arrivé à la tête du groupe en 2008. Ainsi, seulement 2 des 12 membres de la direction de Bell ont leur résidence principale à Montréal. Siim Vanaselja, premier vice-président et chef de la direction financière, et Martine Turcotte, chef des affaires juridiques et des questions réglementaires.

Si Martine Turcotte, une avocate réputée, conserve ses responsabilités juridiques, BCE vient de lui affubler le titre de première vice-présidente pour le Québec. Aucune autre région ou province au pays n'a son dirigeant attitré.

Quand une entreprise, officiellement domiciliée à Montréal, se sent le besoin d'avoir un cadre qui soigne ses relations avec le Québec, c'est qu'elle n'est plus très présente ici. De fait, la haute direction de BCE n'a jamais été aussi torontoise. Or, avec une concentration de dirigeants à Toronto, les cadres supérieurs vont inéluctablement graviter vers ce centre de décisions.

Dans l'une des rares entrevues qu'il ait accordées depuis son départ de la présidence de BCE, Jean Monty observait d'un oeil critique ce glissement perceptible de Bell vers Toronto. Diplomate, il hésitait toutefois à critiquer George Cope.

«C'est difficile de forcer quelqu'un à déménager ses pénates, quoique moi, je l'aie fait pour [diriger] Nortel à Toronto», notait Jean Monty en septembre dernier.

Jean Monty rappelait que, historiquement, il y a toujours eu une alternance entre les dirigeants du Québec et de l'Ontario à la direction de Bell.

«J'espère qu'un jour, cela va revenir dans l'autre sens», disait-il.

Malheureusement, Montréal semble avoir passé son tour.