Les coffres débordant de liquidités, les géants du monde des affaires aux États-Unis semblent néanmoins figés par la peur.

Les entreprises hésitent beaucoup à investir dans des projets de croissance en raison de l'incertitude économique grandissante. Et celles qui osent se mettre en mode de croissance préfèrent la machine à l'homme pour arriver à leurs fins.

Selon des données du département du Commerce, à Washington, les investissements du secteur privé en machinerie augmentent au moins 10 fois plus rapidement, depuis environ deux ans, que les dépenses en main-d'oeuvre.

L'argent consacré à l'embauche de travailleurs a augmenté d'à peine 2% depuis le début de la reprise économique, alors que les sommes consacrées aux équipements et au matériel informatique ont crû d'environ 25%. On n'a pas vu pareille disparité entre ces deux types d'investissement depuis une trentaine d'années, selon le gouvernement américain.

Depuis la fin de la crise financière, le marché de l'emploi aux États-Unis demeure péniblement amorphe, comme on a pu le constater encore une fois vendredi dernier. Pourtant, l'économie américaine a retrouvé, dans son ensemble, son niveau de production d'avant l'effondrement du marché immobilier.

De toutes évidences, la machine a donc pris le dessus sur l'homme dans le contexte de grande incertitude que nous vivons présentement.

Un expert américain avance aussi une autre explication: «Les entreprises réagissent généralement à des facteurs incitatifs [...] or, la machinerie est devenue moins onéreuse que la main-d'oeuvre», explique Dean Makin, économiste à la Banque Barclays, dans un récent entretien avec le New York Times.

De récentes données semblent en effet lui donner raison: les équipements informatiques et les logiciels, par exemple, ont vu leurs prix chuter de 2,4% en moyenne depuis deux ans, grâce surtout aux produits importés d'Asie.

Par comparaison, les coûts de main-d'oeuvre aux États-Unis ont augmenté de 6,7% durant le même temps, indique le département du Travail, à cause de la hausse des salaires et surtout des bénéfices sociaux, tels que l'assurance maladie.

2000 milliards de «cash»

Le fort penchant des employeurs pour la mécanique est d'autant plus frustrant pour les travailleurs que les grandes entreprises américaines ont les poches pleines ces temps-ci.

Selon un récent rapport de la firme Moody's, les sociétés américaines non financières détenaient environ 1200 milliards US de liquidités à la fin 2010. Cela marque une augmentation de 11% sur une période d'un an.

Or, avec le dévoilement des résultats des deux premiers trimestres 2011, on sait que les Apple, Caterpillar et la majorité des géants américains inscrits en Bourse ont engrangé des bénéfices records.

Si bien que, selon l'agence Bloomberg, «America Inc.» a accumulé dans ses coffres quelque 2000 milliards US de liquidités, lesquelles ne rapportent pourtant presque rien avec les taux d'intérêt actuels.

Selon Moody's, les entreprises américaines empruntent aussi très peu depuis quelque temps - affichant un ratio dettes/liquidités très bas de 3,06/1 (fin 2010) -, soit le plus faible niveau en cinq ans. Voilà encore une preuve que les entreprises ont peur de prendre des risques et que la confiance n'est pas revenue à la normale.

Trop d'argent

Évidemment, Wall Street n'aime pas ce qu'elle voit, c'est-à-dire un marché de l'emploi en panne et les milliards qui s'empilent dans les goussets des entreprises.

Dans une note financière diffusée il y a deux semaines, Bank of America enjoignait les sociétés américaines à mettre leur argent au travail.

Les sociétés composant l'indice S&P 500, de la Bourse de New York, ont trop d'argent à leur bilan, suggère l'analyste de la banque, David Bianco. À tout le moins, elles devraient hausser leurs dividendes ou emprunter davantage pour racheter leurs actions sur le marché boursier. Le niveau trop élevé actuel des liquidités pourrait d'ailleurs être un signe d'un «problème de gouvernance», ajoute-t-il.

D'autres experts signalent aussi que les sociétés américaines ont réalisé peu d'acquisitions depuis le début 2011, soit presque deux fois moins que durant les bonnes années... une autre indication d'un manque de confiance flagrant.

Face à une économie en reconstruction et à des marchés financiers en proie à la panique, les pressions sur le monde des affaires sont énormes ces temps-ci. Aussi, beaucoup de dirigeants d'entreprises jouent aux banquiers et se contentent de gérer leurs économies.

Mais il faudra bien un jour que les chefs d'entreprises se ressaisissent et fassent leur métier, soit de prendre des risques et de créer des emplois.