La société montréalaise Yellow Média a exploré de nouveaux abîmes, hier, après avoir charcuté son riche dividende et s'être fait décoter par deux agences de notation de crédit.

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On comprendra ses actionnaires de ne pas avoir envie de siffloter la guillerette chanson des Beatles, titre - toujours approprié - d'une chronique récente.

L'action de Yellow Média [[|ticker sym='T.YLO'|]], encore connue sous son ancien nom de Groupe Pages Jaunes, a coulé à pic, hier, à la Bourse de Toronto. Elle a terminé la journée à 1,10$, en baisse de 43%.

Il arrive que les marchés boursiers réagissent trop vivement, surtout dans le cas de titres qui intéressent les spéculateurs. Mais avec les mauvaises nouvelles qui se multiplient pour Yellow Média, rien ne permet de le croire. Quoi qu'en pense son président et chef de la direction, Marc Tellier, qui juge que la transformation numérique de cet éditeur d'annuaires imprimés reste incomprise.

Par où commencer? Les derniers résultats, tiens. Yellow Média a perdu 21 millions de dollars au cours du trimestre terminé le 30 juin, alors qu'elle avait empoché un profit de 50 millions à la même période l'an dernier. Pendant ce temps, les revenus ont reculé de près de 5%, à 343 millions.

Yellow Média a expliqué cette déconvenue par la radiation complète de son investissement dans la société Ziplocal, à qui elle a vendu ses annuaires américains il y a seulement un an. Sa participation de 35% dans cette entreprise qui s'est trouvée en défaut de paiement était auparavant évaluée à plus de 50 millions de dollars.

Mais cela n'explique pas complètement ce revirement de 71 millions de dollars. Les revenus publicitaires tirés des annuaires traditionnels chutent plus rapidement que ne croissent les revenus des nouveaux services numériques. Pendant ce temps, les coûts d'exploitation ont augmenté de 6,5%, principalement en raison de la hausse des salaires, des commissions et des avantages sociaux.

(Il faut savoir que le conseil d'administration de Yellow Média a toujours bien traité la direction de l'entreprise. Pendant que les actionnaires mangeaient leurs bas, la rémunération des hauts dirigeants a grimpé de 259% en cinq ans (2006 à 2010), révèle la circulaire de l'entreprise.)

Avec ces résultats lamentables, la direction de Yellow Média a d'ailleurs décidé de ne plus donner de prévisions financières jusqu'à nouvel ordre.

La situation financière de Yellow Média, encore solide, ne laisse pas entrevoir de difficultés à court terme. Mais, devant des initiatives numériques qui tardent à se concrétiser sur la ligne des profits, l'entreprise ne peut plus se rentrer la tête dans le sable.

Il aurait été irresponsable, pour Yellow Média, de continuer à verser un dividende aussi plantureux. Tout comme de maintenir son programme de rachat d'actions ordinaires. C'est dans ce contexte que Yellow Média a amputé son dividende des trois quarts. Celui-ci ne représentera plus que 15 cents par an, contre 65 cents auparavant, et il sera versé à la fin de chaque trimestre, et non plus à la fin de chaque mois.

Yellow Média se donne une marge de manoeuvre. Avec le délestage récent des activités de sa filiale Trader dans le secteur automobile, cédées au fonds d'investissement Apax Partners pour 708 millions (37 millions de moins que prévu), l'entreprise compte réduire son endettement. Ainsi, le rapport de la dette nette au profit d'exploitation devrait tomber à 2, alors que ce ratio oscille entre 2,8 et 3,2.

Cette prudence est tout à fait louable. Mais le problème de fond de Yellow Média reste le même. Son passé paraît encore plus brillant que son avenir risqué.

C'est le constat que font les agences de notation de crédit Standard&Poor's et DBRS, qui ont décoté Yellow Média d'un cran hier, DBRS y accolant même des perspectives négatives.

Yellow Média espère que la proportion de ses revenus en ligne grimpera de 25% à 50% d'ici 2014. Par exemple, la direction mise beaucoup sur son service de création et de maintien de sites web pour des commerçants et des petits entrepreneurs qui ont d'autres chats à fouetter.

Mais dans ces services numériques, la concurrence est très forte. Et les nouveaux venus bousculent régulièrement ce marché avec des produits qui changent la donne.

Cette ancienne division de Bell aura-t-elle assez d'agilité pour tirer son épingle du jeu? Ses vieilles relations avec les commerçants résisteront-elles à toutes les sollicitations? Chose certaine, Yellow Média ne peut plus tenir ses marges de profits pour acquises.

Dans ses discussions avec l'agence DBRS, Yellow Média a révélé qu'elle avait entrepris une «révision de ses plans stratégiques et d'exploitation». Cette révision pourrait déboucher sur la dévaluation de son écart d'acquisition (5,9 milliards) et de ses actifs intangibles (1,7 milliard), dont les valeurs paraissent gonflées, note DBRS.

Cette information a piqué la curiosité d'un analyste qui, en téléconférence, a demandé en substance si cet examen ne pourrait pas se traduire par une remise en question plus étendue. Non, ont répondu les dirigeants de Yellow Média.

Mais c'est au conseil d'administration de Yellow Média qu'il faudrait poser la question, conseil qui est en dernière instance redevable aux actionnaires lessivés. L'heure n'est plus à la complaisance face à une équipe de direction qui promet un virage numérique depuis 10 ans et qui a eu le temps de faire ses preuves.

Quelle est la meilleure façon de protéger l'avoir des actionnaires, voire de sauver les meubles? Faut-il envisager une fusion ou une vente? Faut-il remanier la direction?

Les difficultés de Yellow Média sont telles qu'aucun scénario ne devrait être exclu.