Il existe présentement aux États-Unis un vaste lobby déterminé à faire stopper les importations de pétrole canadien. On y retrouve pêle-mêle Greenpeace et les groupes environnementalistes, Amnistie Internationale, des politiciens protectionnistes, et même, comme chaque fois qu'il y a une bonne cause à défendre, l'acteur Danny Glover et une couple de comédiens - et à cette liste il faut ajouter, comme de raison, l'incontournable David Suzuki.

Ce qui soulève l'ire de tout ce beau monde, c'est l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta. L'affaire est sérieuse: on en discute même au Congrès.

Vrai. L'exploitation des sables bitumineux est polluante. Amnistie Internationale, entre autres, s'inquiète du sort des populations autochtones vivant aux alentours de Fort McMurray, et proclame que les droits humains l'emportent largement sur le développement des ressources. On ne peut pas lui donner tort.

Sauf que tout ce discours évacue trop rapidement une autre question: si les États-Unis cessent d'acheter du pétrole canadien, où donc vont-ils s'approvisionner? C'est la question que pose l'Institut Fraser dans une étude qui vient d'être publiée.

Avant d'aller plus loin, il faut rappeler la situation des États-Unis dans ce dossier. Avec une production pétrolière de 9,1 millions de barils par jour, les États-Unis arrivent en solide troisième place des producteurs mondiaux de pétrole, pas très loin derrière la Russie (9,9 millions de barils) et l'Arabie Saoudite (9,8 millions). L'Iran arrive très loin derrière au quatrième rang avec 4,2 millions de barils.

Mais cette immense production américaine est insuffisante pour combler les tout autant immenses besoins nationaux, et le pays est obligé d'importer la différence. Cette situation n'est pas près de changer. Les Américains continueront, au moins pendant plusieurs décennies, d'être dépendants de leurs importations pétrolières.

C'est ici que le Canada entre en jeu.

À la fin des années 70, c'est-à-dire avant l'exploitation à grande échelle des sables bitumineux, le Canada fournissait 6% des importations américaines de pétrole, contre 25% pour les pays du golfe Persique (Arabie Saoudite, Koweït, Iraq, Qatar, Émirats, etc). Aujourd'hui, le Canada est devenu le premier fournisseur des États-Unis, avec 21%, contre 14% pour les pays du golfe. Autrement dit, les exportations de pétrole représentent maintenant un des piliers de l'économie canadienne.

Admettons maintenant que les Américains décident de boycotter le pétrole canadien. Ils devront forcément en trouver ailleurs. Où? Voyons la liste des 15 premiers pays exportateurs de pétrole. Seulement deux d'entre eux, le Canada et la Norvège, ont un dossier présentable en matière de droits démocratiques, liberté de presse, corruption, intégrité du système judiciaire, alphabétisation, droits de l'homme - et surtout droits de la femme.

Voici quels sont les 13 autres: Arabie Saoudite, Russie, Iran, Émirats arabes, Koweït, Nigéria, Angola, Algérie, Irak, Venezuela, Libye, Kazakhstan et Qatar. On conviendra que ce n'est pas la liste des endroits les plus reposants sur la planète.

L'Angola, la Russie et le Nigéria, pour ne nommer que ceux-là, figurent parmi les pays les plus corrompus de la planète. En Arabie Saoudite et en Iran, une femme n'a pas le droit de voyager sans l'autorisation de son mari (ou d'un autre «gardien»: père, frère, fils...). Dans les Émirats arabes, une femme doit également avoir la permission d'un «gardien» mâle pour avoir accès à une chirurgie. Il est pas mal plus agréable (et sécuritaire) d'être journaliste au Québec plutôt qu'au Venezuela, en Russie ou en Libye. Il n'y a même pas semblant d'élections libres en Arabie Saoudite, au Qatar, en Algérie. En Russie, au Kazakhstan et au Venezuela, l'indépendance des tribunaux est une farce. On peut continuer la liste longtemps. Droits humains, vous avez dit?

Le lobby américain contre le pétrole canadien peut bien s'indigner. Les dommages causés par l'exploitation des sables bitumineux sont bien réels (bien que les deux principales pétrolières concernées se soient engagées à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre). Mais ce qui se passe chez les autres pays exportateurs de pétrole est encore bien moins édifiant.

D'autre part, beaucoup des pays que nous venons de citer ne sont pas précisément des modèles de stabilité. Pour s'assurer des approvisionnements fiables et constants, les Américains ont carrément intérêt à continuer d'acheter au Canada, plutôt que de se tourner vers le Nigéria ou la Libye.

Le rapport de Fraser accrochera non seulement ceux qui sont intéressés par l'aspect économique de la question, mais aussi ceux qui se préoccupent des droits humains, de la liberté de presse, du climat des affaires. On y trouve en effet la liste des 38 principaux pays producteurs de pétrole, chacun faisant l'objet d'une fiche détaillée tenant compte de 17 critères. Le document de 138 pages s'intitule In America's National Interest - Canadian Oil. On peut le télécharger gratuitement (disponible en anglais seulement) à partir de la page d'accueil de l'Institut: www.Fraserinstitute.org

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