Comme le rapportait hier mon collègue Richard Hétu, correspondant de La Presse aux États-Unis, les républicains américains ne se contentent pas des 10 commandements traditionnels. Dans le temps, Ronald Reagan avait innové en créant un 11e commandement: «Tu ne parleras point en mal d'un autre républicain.» Et voici que les élus républicains semblent en passe d'en concocter un 12e, tout aussi limpide: «Tu ne hausseras point les impôts.»

La question est au coeur des tractations et discussions qui animent le Congrès ces jours-ci. Les finances publiques américaines sont dans une impasse.

Le dernier budget du président Obama prévoyait des recettes de 2600 milliards US, comparativement à des dépenses de 3700 milliards US; il en résulte un déficit de 1100 milliards US. Plus de mille milliards! C'est une somme qui tient de la démesure, et pourtant, ce n'est pas le pire de l'administration Obama: 1600 milliards l'an dernier, 1300 l'année d'avant.

Les causes de cet enlisement financier sont connues. Il y a eu l'héritage des années Bush (financement des guerres en Afghanistan et en Irak, baisses d'impôts, sauvetage des institutions financières en déroute). Puis, pour aggraver une situation déjà critique, est arrivée la pire récession depuis la Grande Dépression des années 30; le gouvernement a dû gonfler les dépenses publiques pour empêcher le taux de chômage de grimper à des niveaux intolérables.

Toujours est-il que l'accumulation de ces déficits a provoqué une rapide enflure de la dette, qui atteint maintenant son plafond autorisé de 14 300 milliards (presque 100% du produit intérieur brut). Pour que le pays continue à fonctionner, le Congrès doit approuver une hausse de cette limite légale. Il a jusqu'au 2 août pour le faire; après cette date, la première puissance économique de la planète pourrait se retrouver en défaut de paiement, ce qui déclencherait une véritable catastrophe.

Mais ne dramatisons pas à outrance. En 15 ans, c'est la cinquième fois que ce genre de situation se produit; chaque fois, républicains et démocrates sont parvenus à s'entendre pour éviter le pire.

Les deux partis sont d'accord pour éliminer le déficit et commencer à rembourser la dette. Là où les différences apparaissent, c'est dans la manière de procéder.

Faut-il sabrer les dépenses de l'État, ce qui signifie inévitablement une détérioration des services publics? Ou bien augmenter les revenus, ce qui signifie inévitablement des hausses d'impôts?

En gros, pour retrouver l'équilibre budgétaire, le trou à combler est de 4000 milliards en 10 ans. Le président Obama suggère une approche mixte, qui comprendrait des compressions évaluées entre 2000 et 3000 milliards, plus des hausses d'impôts d'environ 1000 milliards. C'est sur ce point qu'accrochent les républicains, ennemis jurés des hausses d'impôts.

En fait, la capacité fiscale des États-Unis est phénoménale, mais peu utilisée.

Un exemple: il n'existe pas de taxe de vente fédérale aux États-Unis (comme la TPS au Canada). Seuls les États imposent une taxe de vente, dont les taux varient considérablement d'un endroit à l'autre: cinq États n'imposent aucune taxe de vente; ailleurs, le taux varie de 2,9% (au Colorado) à 7,25% (en Californie).

Supposons maintenant que le président des États-Unis demande à ses compatriotes de faire un petit effort pour éliminer le déficit plus rapidement que prévu. Il suffirait d'une taxe fédérale de 4% pour éliminer le déficit... en 34 mois, moins de 3 ans. Avec une taxe de 10% (ouch, j'admets), les Américains suppriment leur déficit en un an à peine (13 mois pour être plus précis)!

Mais cela ne se fera pas pour une raison assez simple. Les Américains sont les contribuables les moins lourdement imposés des pays du G8, mais ils se considèrent déjà comme abominablement surtaxés. Pas seulement les républicains. Tous les sondages montrent que l'opinion publique est majoritairement opposée aux hausses d'impôts.

Autrement dit, la capacité fiscale est là, mais le pays refuse de s'en servir.

Il est possible que le Congrès relève le plafond de la dette, ce qui permettra à l'économie américaine de mieux respirer pendant un temps. À plus long terme, ce n'est pas une bonne solution. Jusqu'à présent, l'administration Obama mise surtout sur la croissance économique, de sorte qu'avec le temps, le déficit se résorbera de lui-même. La recette a déjà été essayée ailleurs (en particulier ici, au Canada, dans les années 80), mais les résultats n'ont jamais été convaincants, c'est le moins que l'on puisse dire.

Tôt ou tard, les Américains, s'ils veulent assainir leurs finances publiques tout en conservant leurs services publics, devront se résoudre à utiliser leur capacité fiscale.