La communauté financière de Bay Street semble encore surprise du fait que la Banque Nationale se trouve au coeur de la contre-offensive canadienne qui vise à faire barrage à la Bourse de Londres et à son projet d'acquérir le Groupe TMX. À Toronto, la Nationale est invariablement décrite comme la banque qui suit derrière le «Big Five».

Or, ce sont les dirigeants de la Nationale qui se retrouvent aujourd'hui sous les feux des projecteurs. Son vice-président du conseil, Luc Bertrand, est l'instigateur et le porte-parole désigné du consortium Maple, cette coalition de 13 institutions financières où le Québec inc. est fortement représenté.

Son président, Louis Vachon, est le banquier canadien qui a critiqué avec le plus de virulence le projet de Londres. Un projet qui, à l'entendre, clouera le cercueil de Montréal comme centre d'excellence dans les produits dérivés.

C'est un rôle que Louis Vachon joue à son corps défendant, il l'admet d'emblée. «Je ne recherche pas la visibilité», dit-il, en entrevue au siège social de la Nationale. Dans d'autres dossiers, comme celui de la commission des valeurs mobilières nationale préconisée par le gouvernement conservateur, ce banquier préfère d'ailleurs jouer la carte de la discrétion, pour des raisons politiques. Mais il n'en a pas moins une opinion tranchée sur la question. «Je cherche encore un chromosome neutre dans mon corps!»

Si l'avenir de la plus grande institution boursière du pays l'interpelle, c'est qu'il la considère comme un service public essentiel. Et qu'il a travaillé fort pour que la Bourse de Montréal développe son expertise dans les produits dérivés.

«Y a-t-il un aspect émotif à tout cela? Tout à fait. Coupable! Mais c'est aussi un dossier que nous avons analysé froidement.» Les mêmes critères qui ont incité la Nationale à approuver la vente de la Bourse de Montréal à la Bourse de Toronto incitent maintenant Louis Vachon à rejeter l'offre d'achat de Londres. Absence de prime aux actionnaires, logique d'affaires faible, recul pour le Canada: cette transaction, il ne la digère pas.

Si le Canada anglais découvre Louis Vachon, au Québec, cela fait longtemps que le grand patron de la Nationale se passe de présentation. De la visibilité, ce banquier de 48 ans en a eu plus, en quelques mois, que son prédécesseur durant toute la durée de son mandat. Et pas nécessairement le type d'attention qu'un dirigeant d'affaires recherche.

Cela ne faisait pas trois mois que Louis Vachon s'était installé dans le fauteuil du chef de la direction qu'éclatait la crise du papier commercial, à l'été 2007. En plus de racheter le papier vendu aux particuliers au prix de 2 milliards de dollars, la Nationale a dû débourser 75 millions pour régler les recours intentés contre elle par l'Autorité des marchés financiers. L'AMF lui reprochait d'avoir fait preuve de négligence en vendant à ses clients du papier commercial vicié.

Puis, la crise financière s'est abattue sur le secteur bancaire. Et alors que le titre de la Nationale était plombé en Bourse, le conseil de la Nationale a dû défendre sa décision de récompenser richement Louis Vachon même si les objectifs de la banque n'étaient pas tous atteints.

Cette tourmente paraît maintenant lointaine. La Nationale est la troisième banque parmi les plus solides du monde et la première en Amérique du Nord, selon un palmarès récent de l'agence Bloomberg. Le titre de la Nationale a progressé de plus de 30% depuis un an.

La première banque québécoise vient de mettre la main sur le gestionnaire Wellington West, une acquisition qui lui coûtera 200 millions, au final. Ce qui n'a pas empêché la Nationale de relever le dividende versé à ses actionnaires de près de 8%.

«On n'a pas paniqué quand cela allait mal, il ne faut pas se penser trop fin quand cela va bien», observe Louis Vachon.

Ce revirement, le grand patron de la Nationale l'attribue à la stratégie «Un client, une banque». Sans se laisser distraire par la crise financière qui faisait rage, l'entreprise a redéployé ses ressources en succursale, pour mieux servir ses clients. De ce virage, Louis Vachon affirme que «c'est la meilleure décision que j'ai prise comme CEO».

Mais cette transformation est loin d'être complète. La Nationale cherche maintenant à intégrer les différents systèmes informatiques dont elle a hérité au fil des ans, un legs encombrant.

Au 28e étage de la tour blanche au 600, rue De la Gauchetière, 350 personnes travaillent à temps plein sur la nouvelle plateforme transactionnelle en succursale. «On n'est pas en train de changer la peinture sur l'automobile, dit Louis Vachon. On s'attaque au moteur.»

Ce redéploiement des systèmes informatiques exigera un investissement de 200 millions au cours des deux prochaines années. Il s'agit d'une dépense significative pour la sixième banque du pays, qui ne peut amortir ces coûts sur un aussi grand nombre de clients que les banques Royale ou TD, par exemple.

La Nationale souffre-t-elle de sa petite taille? Louis Vachon balaie cette suggestion. «Depuis trois ans, la théorie de la croissance à tout prix a pris un méchant coup», dit-il.

Passé un actif que Louis Vachon estime à 75 milliards de dollars, les économies d'échelle vont en décroissant. Et puis, la Nationale amortit ses coûts en offrant ses services administratifs à d'autres institutions financières, à l'exemple des produits de marque privée. Par exemple, lorsqu'un client de la Sun Life ou du Groupe Investors contracte un prêt REER ou réclame une marge de crédit hypothécaire, c'est la Nationale qui se charge de toute la mécanique derrière.

La Nationale aimerait néanmoins croître par acquisition. Le hic, c'est que l'industrie bancaire au Canada est fortement consolidée, et que les occasions d'achat ne courent pas les rues.

Pour autant, la Banque Nationale ne lorgne pas d'institutions financières aux États-Unis, même si les prix y sont dépréciés. En fait, à l'exception de la Banque TD, les institutions financières canadiennes qui se sont aventurées sur ce marché très concurrentiel ont éprouvé beaucoup de difficultés.

La Banque Royale a ainsi vendu à perte hier ses plus de 400 succursales dans le sud des États-Unis à PNC Financial Services Group dans une transaction évaluée à 3,62 milliards de dollars. Pas question de s'établir à l'étranger avant trois ans, soit avant d'avoir mené à bien le redéploiement des systèmes informatiques de l'entreprise. Et encore, la Nationale ne cherchera pas tant un pays ou une région qu'un créneau lui permettant de mettre en valeur ses forces. Louis Vachon cite en exemple la vente d'obligations gouvernementales partout au monde. «C'est une expertise qu'on doit exporter», dit-il.

À l'entendre parler de son ton direct, Louis Vachon ressemble moins à un homme d'entreprise qu'à un entrepreneur. Il n'en est pas un, mais se réclame toujours de l'héritage de sa famille beauceronne, rendue célèbre avec le Jos Louis des Gâteaux Vachon. Par exemple, quand on évoque le sujet de sa rémunération, Louis Vachon affirme qu'il est payé en fonction de ses succès. «Et dans ma famille d'entrepreneurs, le succès économique, c'est quelque chose dont nous sommes fiers.»

Louis Vachon constate néanmoins que le succès est en train d'échapper à bien des entreprises du Québec qui ne trouvent pas de successeurs à leurs dynamiques fondateurs. Par manque de compétences ou, pis, par manque d'intérêt. À ses yeux, l'absence de relève représente un drame. Et pas seulement pour la Nationale, la banque des PME, mais pour l'ensemble du Québec.

«Il faut revaloriser les entrepreneurs», dit-il.

Louis Vachon raconte l'histoire de son arrière-grand-mère, Rose-Anna, qui a racheté une boulangerie à Sainte-Marie-de-Beauce, pour rapatrier au Québec ses fils qui étaient partis chercher du travail aux États-Unis.

«L'entrepreneuriat, ce n'est pas juste une question de succès économique, c'est une question de survie culturelle. C'est important, pour le développement de la société québécoise, d'avoir une société francophone prospère.»

Une coïncidence qui n'en est pas une, la tentative de reprise de la Bourse de Toronto par un groupe d'investisseurs canadiens qui sont passés de la parole aux actes s'inscrit parfaitement dans cet esprit.

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La Banque Nationale en un coup d'oeil

18 500 Nombre d'employés

440 Nombre de succursales

155 milliards Actif

2,3 millions Clients particuliers

12,42 MILLIARDS Valeur boursière

* en date du 30 avril, à l'exception de la valeur boursière, lue hier