Le 9 mars dernier, un mois après la chute du président Hosni Moubarak, l'armée égyptienne a arrêté des dizaines de protestataires qui continuaient d'occuper la place Tahrir. Les manifestants ont été sauvagement battus et torturés. Un traitement particulier a été réservé à 17 femmes qui, en plus des coups et des menaces, ont été déshabillées et photographiées avant de subir d'humiliants tests de virginité.

Amnistie internationale a rapidement documenté et dénoncé cette pratique. L'armée a tout nié. Surprise: il y a deux jours, un général égyptien a confié anonymement à CNN que ces tests avaient bel et bien eu lieu.

Ce qui est intéressant dans cette affaire, ce n'est pas tant que le recours aux tests de virginité ait été confirmé en haut lieu. Les témoignages recueillis jusqu'à maintenant étaient suffisamment éloquents. Cette vérification anatomique fait d'ailleurs partie de la tradition de l'appareil répressif égyptien. Les événements du 9 mars ont confirmé qu'il ne suffit pas de faire tomber un tyran pour débarrasser un pays de tous les instruments de la tyrannie.

Non, ce qui est vraiment fascinant, dans le témoignage du général, c'est la manière dont il a justifié ces tests. En gros, il a brandi deux arguments: «Ces filles n'étaient pas comme votre fille ou ma fille, elles avaient campé avec des manifestants mâles sur la place Tahrir, dans des tentes où nous avons trouvé des cocktails Molotov et des drogues», a-t-il fait valoir.

Devant ces dangereuses créatures, les braves soldats n'avaient pas le choix de se protéger. S'ils ont voulu vérifier l'état de l'hymen des manifestantes, c'est - tenez-vous bien - pour échapper à d'éventuelles accusations de viol.

Ces révélations vont dans le sens du témoignage de l'une des jeunes prisonnières, Salwa Husseini, coiffeuse de 20 ans qui s'est confiée à Amnistie internationale dans la foulée des événements du 9 mars. Elle a raconté que les militaires avaient menacé de lui infliger des décharges électriques si elle refusait de se soumettre à l'examen gynécologique. Et que, faute de preuve de virginité, les jeunes femmes s'exposaient à des poursuites pour prostitution. Plusieurs ont d'ailleurs fini par être condamnées à un an de prison avec sursis.

Cette histoire vient rappeler qu'une révolution contre un pouvoir ne produit pas automatiquement une révolution des mentalités.

Aujourd'hui, en Égypte, il y a des militaires haut placés qui pensent que seules les femmes vierges peuvent prétendre être victimes de viol. Comme si une agression sexuelle contre une femme qui ne l'est plus ne comptait pas vraiment. Sans doute la femme l'a-t-elle un peu cherché?

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Vous trouvez ça barbare? Aussi récemment qu'en janvier, un policier a fortement suggéré à des étudiantes ontariennes de ne pas s'habiller «comme des salopes» pour se protéger contre les agresseurs potentiels. En anglais, il a utilisé le mot slut. Insultées de se faire dire que leur tenue vestimentaire pouvait justifier des agressions sexuelles, des femmes ont organisé des «slut walks», ou marches des salopes. Le mouvement a essaimé un peu partout en Amérique du Nord. Il faut croire que le policier torontois a touché une corde sensible.

Et puis, il y a ces hommes puissants qui se croient tout permis avec toute femme qui a le malheur de croiser leur chemin. Il y a la sordide histoire de Dominique Strauss-Kahn, bien sûr. Mais aussi tous ces amis qui ont volé à son secours en faisant preuve d'un machisme crasse doublé d'un élitisme méprisant. Notamment, le journaliste Jean-François Kahn a réduit l'agression sexuelle d'une femme de chambre à du «troussage de domestique».

Il y a aussi l'ancien secrétaire d'État français Georges Tron, qui vient de quitter son poste à la suite d'une accusation de harcèlement sexuel. En mars, l'ex-président israélien Moshe Katzav a été condamné à sept ans de prison pour viol et harcèlement sexuel. En Égypte, encore, un ancien patron de banque est accusé d'avoir agressé une femme de chambre dans un hôtel de luxe de Manhattan.

Dur printemps pour les femmes. Mais aussi, espérons-le, dur été pour leurs agresseurs...