C'est en parcourant le palmarès des PDG canadiens les mieux rémunérés que j'ai sursauté. Au 27e rang des dirigeants les mieux rétribués au pays se trouve Marc Tellier. Le grand patron de l'éditeur d'annuaires Yellow Média a empoché 8,9 millions de dollars l'an dernier.

D'après ce palmarès du Globe&Mail, cela le situe devant Claude Mongeau du transporteur Canadien National. Devant Pierre Duhaime de la firme d'ingénierie SNC-Lavalin. Devant George Cope de BCE. Et devant Éric La Flèche de l'épicier Metro. Entre autres.

Mais le terme «empocher» n'est pas tout à fait juste. La moitié de cette rémunération vient de l'octroi, en novembre, de 7 millions d'options d'achat d'actions. Options qui couvriront quatre années de rémunération incitative à long terme.

Ces options ne peuvent être exercées avant novembre 2013. Et leur prix de levée est de 6,35$. Aussi bien dire à des kilomètres du cours actuel des actions de Yellow Média, qui ont décroché en Bourse. À Toronto, hier, ce titre a établi un nouveau creux des 52 dernières semaines en clôturant à 3,78$.

La chute des derniers jours est si prononcée que Yellow Média a dû s'expliquer à la demande des autorités boursières hier.

Comme l'a écrit mon collègue Richard Dufour, les investisseurs s'inquiètent des répercussions, sur l'industrie des annuaires imprimés, d'une nouvelle loi de la Ville de San Francisco qui interdit la distribution des bottins à toutes les portes, sans que les résidants en aient fait la demande.

Yellow Média a cherché à se faire rassurante, hier. Non, le paiement de son riche dividende n'est pas compromis. Oui, le délestage partiel de sa filiale Trader, vendue au fonds d'investissement Avax Partners, se complétera comme prévu. Ainsi, les 745 millions récoltés permettront de réduire la dette.

Mais ces assurances n'ont pas calmé le jeu. D'autant plus que d'autres informations donnent l'impression que les dirigeants abandonnent le sous-marin jaune, pour reprendre la chanson des Beatles.

Il y a deux semaines, le 19 mai, le chef de la direction marketing, Stéphane Marceau, a démissionné pour «poursuivre d'autres projets de carrière». Stéphane Marceau était l'un des principaux architectes de la stratégie visant à transformer cet éditeur d'annuaires imprimés en véritable éditeur électronique.

Seulement deux jours plus tôt, soit le 17 mai, le chef de la direction financière, Christian Paupe, a liquidé 200 000 actions au prix de 4,69$. Selon les transactions d'initiés rapportées par l'Autorité des marchés financiers du 20 mai, il ne possède plus aucune action qui ne soit pas écrouée. Christian Paupe n'a pas rappelé La Presse, hier.

Bref, les fameuses options de Yellow Média ne valent rien pour l'instant. Ce qui ne veut pas dire que ces options d'une durée de cinq ans ne vaudront pas leur pesant d'or d'ici quelques années. Ou avant si Yellow Média devait faire l'objet d'une offre d'achat. Voilà pourquoi des comptables ont estimé la «juste valeur comptable» de ces actions à plusieurs millions de dollars.

Pourquoi récompenser la direction d'une entreprise qui se porte aussi mal? Le virage numérique dérape. Yellow Média perd plus de revenus de ses clients traditionnels qu'elle n'en gagne en séduisant des PME avec ses services électroniques. De plus, la concurrence est féroce avec la présence de plus en plus sentie de Google et la multiplication des sociétés internet offrant des promotions d'un jour.

Même en excluant les charges associées à la vente, à perte, de Trader, les derniers résultats trimestriels font état d'un profit de 70,5 millions, une baisse de 45% en un an.

Le conseil d'administration, dont 11 des 12 membres sont indépendants, s'est rallié à la «recommandation de la direction» de geler les salaires des plus hauts dirigeants. Par ailleurs, le conseil n'a pas versé de prime annuelle ni attribué d'unités d'actions différées. Et cela, parce que l'entreprise «n'a pas atteint sa cible de rendement minimale».

En revanche, le comité de la rémunération du conseil a jugé bon de créer un second programme incitatif à long terme grâce auquel les dirigeants ont reçu leurs options d'achat d'actions. Pour obtenir le versement de ces fameuses options, l'ancien Groupe Pages Jaunes devait toutefois atteindre sa cible pour 2010. Son bénéfice avant impôt, intérêt et amortissement (BAIIA) devait s'élever à 895 millions, avant la déduction des frais de conversion d'une fiducie de revenus en société par actions et des frais de promotion associés.

Le BAIIA de Yellow Média n'était que de 850 millions de dollars en 2010. Mais comme les frais de conversion et de promotion ont totalisé 48,5 millions, dont 30 millions uniquement pour la conversion, l'entreprise a touché sa cible de justesse.

Certains analystes ont toutefois qualifié ces frais de disproportionnés («inexplicably off the charts»). C'est le cas d'Adam Shine, de la Financière Banque Nationale. Il a calculé le coût moyen de conversion de 16 ex-fiducies de revenu, dont le Groupe Aéroplan, Genivar et Cineplex. Il s'élève à 1,9 million de dollars!

Les frais de conversion de Yellow Média ont ainsi été 20 fois plus élevés que la moyenne et 6 fois plus élevés que la deuxième conversion la plus onéreuse, conclut Adam Shine. Yellow Média a-t-elle gonflé ses frais de conversion pour atteindre sa cible? Il est permis de se poser la question.

Par ailleurs, le comité de la rémunération, présidé par Michael Lambert (Forzani), a bonifié les conditions de retraite de Marc Tellier et de Christian Paupe, pourtant déjà généreuses; chaque année de service compte déjà pour une année et demie aux yeux du régime. Marc Tellier, 42 ans, est maintenant admissible à la retraite à 45 ans. Quant à Christian Paupe, il peut partir à 57 ans sans pénalités actuarielles.

Un tableau de la circulaire de sollicitation de procurations résume bien le portrait. Cent dollars investis dans Yellow Média à la fin de 2005 valait seulement 66,34$ cinq années plus tard. Mais la rémunération globale des dirigeants a augmenté de 259% dans l'intervalle!

En expliquant sa décision de créer un nouveau programme incitatif à long terme, le comité de la rémunération parlait de la nécessité de conserver les employés clés et de «faire concorder plus étroitement les intérêts de la direction avec ceux des actionnaires».

C'est mal parti.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca