Dire que les banquiers et les journalistes sont copains-copains ferait pouffer de rire n'importe lequel de mes collègues de La Presse Affaires. La saine distance qui nous a toujours séparés s'est transformée en abîme à la suite de la crise du papier commercial et de la crise financière, qui ont écorché plusieurs institutions bancaires.

Mais le fait est que j'ai parlé plus souvent à des banquiers ces trois dernières semaines qu'à mes trois meilleures amies réunies.

Remarquez, les chroniqueurs économiques ne se font aucune illusion sur leur soudaine «popularité» dans les milieux financiers. En temps normal, leur numéro ne figure pas en composition rapide sur les téléphones des banquiers.

Mais ce qui se joue présentement à Toronto, à Québec, à Montréal et à Londres n'a rien de banal. Le Canada se trouve à la croisée des chemins. Et la décision qui se prendra ces prochaines semaines sur l'avenir de sa plus grande institution boursière sera déterminante pour les marchés des capitaux au pays.

Les autorités réglementaires du Québec et de l'Ontario ont leur mot à dire, disposant d'un droit de veto sur la vente du Groupe TMX. Mais les électeurs de ces provinces se sentent peu concernés par cette histoire. Il suffit de voir à quel point ce sujet fait tomber à plat les discussions sur les blogues financiers pour s'en convaincre: c'est assassin.

Ce sont les actionnaires du Groupe TMX qui décideront de l'acquéreur de la Bourse de Toronto dans ce qui s'annonce comme une bataille de procurations entre la Bourse de Londres et le consortium Maple. Ce qui fait d'ailleurs l'affaire des politiciens, qui préfèrent ne pas s'en mêler. D'où la grande séduction des banquiers aux allégeances opposées.

Les actionnaires n'ont pas l'habitude de faire dans les sentiments. Ainsi, ils ne s'émeuvent pas à la vue de feuilles d'érable rouges, même si l'offre de Maple est la meilleure pour préserver la stabilité et l'autonomie du système financier du pays.

Pas plus que ces actionnaires ne s'intéressent à savoir qui joue de bonne ou de mauvaise foi dans cette rivalité, n'en déplaise aux différents protagonistes qui font tout un cas de ces considérations, au final triviales. Règle générale, leur amour se porte au plus offrant.

Après avoir essuyé un refus de la part du conseil du Groupe TMX, le consortium Maple a décidé de lancer une offre d'achat hostile. Cette offre devrait être déposée la semaine prochaine, promet Luc Bertrand, l'instigateur du groupe Maple, qui s'est lancé dans une course contre la montre. Ce consortium doit composer avec la réunion des actionnaires du Groupe TMX, que son conseil a convoquée le 30 juin prochain.

Si cette offre est conforme à ce que le groupe Maple a annoncé, elle est clairement supérieure au plan financier à celle de la Bourse de Londres. Elle se chiffre à 48$ l'action, dont 70% est versé en espèces, le reste étant payé en actions de Maple/TMX. En comparaison, l'offre de la Bourse de Londres est entièrement payée en actions et, à leur cours actuel, sa valeur est inférieure.

Rien n'est joué, toutefois. Le consortium Maple se compose de neuf institutions financières. Du nombre se trouvent quatre banques (CIBC, Nationale, Scotia, TD) quatre grandes caisses de retraite (dont la Caisse de dépôt et placement du Québec et Teachers', le régime des enseignants de l'Ontario), de même que le Fonds de solidarité FTQ. Ces institutions sont actionnaires de la Bourse de Toronto. Toutefois, leurs participations réunies totalisent moins de 10% des actions du Groupe TMX.

Pour que Maple l'emporte franchement, il faut que son offre soit assortie de la relative certitude qu'elle se réalisera. Or, cette offre doit recevoir l'approbation des autorités de la concurrence, approbation qu'il serait hasardeux de tenir pour acquise. Quoi qu'en dise Luc Bertrand, qui se dit convaincu d'y arriver.

En effet, l'offre du consortium Maple est conditionnelle à ce que le groupe TMX puisse racheter son principal concurrent, le groupe Alpha, de même que la chambre de compensation CDS.

La Banque Royale et la Banque de Montréal, qui travaillent au rapprochement Toronto-Londres, sont actionnaires de la plateforme de négociation alternative Alpha. Selon des informations qui n'ont pu être confirmées, la convention des actionnaires d'Alpha n'étant pas publique, ces deux banques auraient ensemble un droit de véto sur la vente d'Alpha. Mais disons que si l'affaire se rend jusque-là, il y a fort à parier que ces banques ne voudront pas rester à l'écart et se rallieront au groupe Maple.

Mais pour qu'une telle vente puisse se conclure, il faudrait que les autorités antitrust approuvent au préalable cette transaction éventuelle, ce que le consortium Maple réclamera. Or, le Bureau de la concurrence pourrait juger d'un oeil sévère une transaction qui concentrera plus de 80% du volume de négociation du pays entre les mains d'une seule institution. Même si le groupe TMX aura toujours des concurrents, au pays comme à l'étranger.

En effet, cette transaction ramènerait la principale institution boursière du pays entre les mains des firmes de courtage associées aux grandes banques, comme à l'époque où les vieilles bourses exerçaient un monopole. Or, cette époque n'a pas nécessairement laissé un bon souvenir chez les clients de la Bourse de Toronto.

La présence, au sein du consortium Maple, de caisses de retraite qui sont parmi les plus grandes utilisatrices de la Bourse de Toronto pourrait en rassurer certains. Mais pas tous, dont certains actionnaires du Groupe TMX. Ainsi, cette crainte d'une concentration trop forte, sur laquelle la Bourse de Londres joue beaucoup, sans surprise, pourrait revenir hanter le consortium Maple.

Malgré tout, Maple refuse de revenir sur cette condition, gage d'efficacité, d'économies d'échelle et de rendement supérieur. C'est à prendre ou à laisser, explique en substance Luc Bertrand.

Ce faisait, Maple court le risque d'être mis dans le même panier que la Bourse de Londres. Le parquet londonien doit de son côté obtenir l'aval d'Industrie Canada, en plus de la bénédiction des commissions des valeurs du Québec et de l'Ontario.

Le Groupe TMX se retrouve donc devant deux prétendants aux propositions incertaines. C'est ce qu'on appelle un cadeau empoisonné.