Si la vengeance est un plat qui se mange froid, Luc Bertrand s'est délecté hier.

Le conseil d'administration du Groupe TMX l'a trahi il y a trois ans en lui préférant un Américain pour succéder à Richard Nesbitt à la tête de la plus grande institution boursière du pays.

L'ancien président de la Bourse de Montréal prépare maintenant son retour au Groupe TMX par la grande porte. Et il n'y a pas de moyens plus insolents, au fond, qu'une proposition d'achat non sollicitée qui a toutes les chances de faire dérailler l'alliance entre les Bourses de Toronto et de Londres.

De ce fameux job de président, Luc Bertrand, 56 ans, ne veut plus. Un poste au conseil d'administration suffira pour l'instigateur du consortium Maple, ce regroupement de neuf banques et investisseurs institutionnels qui entendent ravir le contrôle du Groupe TMX au terme d'une transaction de 3,6 milliards de dollars. Surtout que la stratégie d'affaires que compte déployer le consortium Maple, c'est la sienne.

«C'est ma vision des choses», dit Luc Bertrand, maintenant vice-président du conseil de la Banque Nationale.

Intégrer les activités de compensation aux activités de négociation, c'est exactement ce que Luc Bertrand a fait à la Bourse de Montréal, lorsqu'il présidait cette Bourse de produits dérivés. Et c'est ce qu'il aurait fait s'il avait été choisi pour présider le TMX.

«On peut obtenir une organisation plus efficace, avec de grandes économies d'échelle et une meilleure gestion du risque», précise-t-il.

(La compensation permet aux institutions financières de régler, par l'entremise d'un intermédiaire, les deux côtés d'une transaction, soit les sommes à payer et les titres ou positions à recevoir.)

Avec des investisseurs de l'Alberta au Québec en passant par le coeur financier de Toronto, la proposition Maple a tout pour séduire les élus qui s'inquiètent de l'éloignement des pouvoirs décisionnels à Londres. Elle présente aussi une porte de sortie pour les provinces qui craignent d'avoir l'odieux de s'opposer à ce rapprochement transatlantique.

Au Québec, la possibilité de voir partir la direction des produits dérivés et les activités de développement informatique liées au système Sola (le gros des emplois à Montréal) avive tout particulièrement les craintes. Des craintes qui n'ont pas été apaisées par le maintien, dans la métropole, d'une Bourse de Montréal de façade et une présence canadienne au conseil diluée après seulement quatre ans.

On ignore le détail de la proposition du consortium Maple, une offre entièrement financée que le Groupe TMX a qualifiée de «non contraignante». Mais, le respect des engagements que la Bourse de Toronto a pris envers le Québec lors de l'acquisition de la Bourse de Montréal n'est pas assorti d'une date de péremption!

Qui plus est, Montréal pourrait gagner en importance avec sa Corporation canadienne de compensation des produits dérivés (CCCPD). À l'heure actuelle, tous les produits dérivés ne sont pas compensés. Mais cette fragilité du système est devenue apparente lors de la crise financière. Les pays du G20 se sont engagés à ce que les swaps de taux d'intérêt, entre autres transactions, se fassent dorénavant par l'entremise de chambres de compensation, qui deviennent des coupe-feu entre institutions financières.

L'institution montréalaise a déjà remporté un appel d'offres lancé par la Banque du Canada (pour les «repo» ou accords de rachat dans le marché monétaire). Et la CCCPD pourrait en rapporter d'autres.

L'offre de Maple est aussi plus alléchante sur le plan financier: non seulement est-elle d'un montant supérieur, mais elle est payée à 70% en espèces.

Encore faut-il qu'elle puisse se concrétiser. Et c'est là la grande inconnue de l'histoire.

Maple ne veut pas seulement intégrer la négociation et la compensation des actions. Ce consortium veut avaler le principal concurrent du Groupe TMX, le système de négociation alternatif Alpha, piloté par les grandes banques du pays. Ainsi, Maple a fait de l'approbation de cette acquisition par le Bureau de la concurrence une condition au dépôt d'une offre d'achat en bonne et due forme.

Au 31 décembre, le Groupe TMX, un ancien monopole, détenait encore 72,6% du volume de négociation au pays. Et avec Alpha, ce pourcentage dépassera la barre des 80%.

Luc Bertrand fait valoir que le marché canadien reste concurrentiel. Les tarifs sont réglementés. La concurrence des Bourses américaines est très forte pour les titres qui se négocient des deux côtés de la frontière comme PotashCorp, Barrick ou RIM. Aussi, d'autres concurrents pourraient se joindre aux plateformes de négociation Pure et Chi-X.

Mais la menace d'une poursuite du ministère américain de la Justice qui a incité les bourses NASDAQ et Intercontinental Exchange à retirer leur offre d'achat pour la Bourse de New York a eu l'effet d'une douche froide, hier. Le fait est qu'il est impossible de prévoir avec certitude de quelle façon les autorités canadiennes trancheront.

Le conseil du Groupe TMX est confronté, d'un côté, à une offre d'une valeur inférieure qui doit passer le test de l'investissement étranger, entre autres. Et de l'autre, à une offre avec la feuille d'érable tatouée sur le bras qui réduit cependant la concurrence au pays et doit passer le test des autorités antitrust.

Et pendant que tout ce beau monde tentera de mettre les choses au clair, la planète continuera de tourner!

Luc Bertrand s'est dit ouvert à des fusions avec des institutions boursières étrangères, une fois que le Groupe TMX se sera renforcé et aura établi un meilleur rapport de force.

Mais avec la consolidation en cours, restera-t-il des acteurs intéressants? Une fois les audiences terminées? Une fois les négociations pour le rachat d'Alpha achevées?

Ces négociations s'annoncent particulièrement épineuses, vu que la Banque Royale et la Banque de Montréal, deux actionnaires d'Alpha, sont exclues du consortium Maple, puisqu'elles travaillent au rapprochement Toronto-Londres.

«Mon pressentiment, c'est que le syndrome de la consolidation va ralentir», dit Luc Bertrand en évoquant un «répit» de ces transactions complexes qui se heurtent à de nombreux obstacles.

Soit. Mais c'est peut-être un peu naïf de penser que le monde attendra le Canada.