Pour la première fois depuis 1988, les Canadiens ont élu un gouvernement conservateur majoritaire. Pour la première en 50 ans d'existence, le NPD formera l'opposition officielle, grâce à une poussée phénoménale au Québec. Pour la première fois de l'histoire moderne du pays, le Parti libéral est réduit à un statut de force marginale. Et pour la première fois depuis près de 20 ans, le Bloc n'a pas fait élire une majorité de députés au Québec, chutant aux portes de l'extinction.

Le Canada a radicalement changé hier soir. Il a tourné le dos aux vieux débats constitutionnels pour s'aligner sur un axe plus traditionnel droite-gauche. Il a abandonné le Parti libéral, longtemps considéré par ses propres membres comme le natural governing party et force politique indélogeable il y a quelques années à peine.

Stephen Harper, qui a mené une campagne défensive, surtout dirigée contre ses opposants, a gagné haut la main son pari d'obtenir une majorité. Depuis quelques jours, l'entourage de M. Harper montrait des signes de nervosité, de grande incertitude. Hier matin, les stratèges conservateurs ont envoyé dans une cinquantaine de circonscriptions un message qui disait: «Vous êtes en arrière», avec pour effet de fouetter les organisations locales. La stratégie a visiblement fonctionné.

Il aura maintenant au moins quatre ans devant lui pour mettre en oeuvre son programme qui, il faut le dire, reste vague sur plusieurs points. Il lui manque toutefois le Québec, où il n'a fait élire que six députés. Comment s'articuleront les relations avec cette province longtemps courtisée qui vient de le rejeter? La réponse à cette question est cruciale pour l'avenir. Ce sera maintenant à Jack Layton de défendre les intérêts du Québec à Ottawa. La façon dont il le fera aura aussi une importance capitale pour la suite des choses.

C'est que le Québec aussi a profondément changé, hier soir. En 1993, il avait manifesté son refus de s'amalgamer au grand ensemble canadien en votant massivement pour le Bloc québécois, tout juste créé par Lucien Bouchard dans la foulée de Meech et de Charlottetown.

Hier soir, le Québec a décidé de jouer le jeu, une fois de plus. Mais pas avec les libéraux ou les conservateurs. Avec le plus improbable des partis il y a quelques semaines à peine: le NPD.

Hier soir, les Québécois ont décidé de plonger dans un nouveau beau risque avec Jack Layton, l'homme qui sera désormais connu comme celui qui aura fait plier le Bloc québécois.

Dans un scénario de gouvernement majoritaire, et avec seulement un ou deux députés, sans chef - l'inébranlable Gilles Duceppe renversé dans sa propre circonscription -, les chances de survie du Bloc ne sont pas très grandes. Ce parti est né d'une vive réaction, il est mort de la même façon.

Comme Gilles Duceppe avait fait de cette élection un enjeu souverainistes contre fédéralistes, il est difficile de ne pas y voir un rejet de l'option par les Québécois.

Les suites de ce scrutin aux résultats inattendus se dessinent déjà à l'horizon: les libéraux devront, encore une fois, se trouver un nouveau chef. Ils devront aussi sérieusement considérer leurs options: tenter de se relever (ils ont quatre ans pour y arriver) ou amorcer un rapprochement avec le NPD, ce qui constitue une double humiliation pour bien des rouges.

Dès le début de la soirée, alors que les résultats des provinces de l'Atlantique commençaient à défiler sur les fils de presse, on voyait clairement que les libéraux étaient dans le pétrin.

Au Québec, c'est l'hécatombe. Il sera intéressant de voir comment les Denis Coderre, Justin Trudeau, Stéphane Dion et Bob Rae, pour ne nommer que ceux-là, tenteront de placer leurs pions dans les prochains mois.