L'Irlande et la Grèce ne vont pas mieux. Au contraire, les rescapés de l'Europe s'enfoncent dans la crise sous le poids des mesures d'austérité qu'on leur a imposées.

Jeudi dernier, le ministre des Finances de l'Allemagne, Wolfgang Schaüble, a laissé tomber cette petite bombe: la Grèce, l'Irlande et le Portugal pourraient devoir «restructurer» leurs dettes. Autrement dit, on pourrait forcer les créanciers à assouplir les conditions de leurs prêts si un audit, prévu en juin, confirme l'incapacité de ces pays de payer leur dû.

Le commentaire de l'argentier allemand a ravivé les pires craintes. Du coup, les rendements exigés par les investisseurs sur les titres d'emprunt du Portugal, de la Grèce et de l'Irlande ont bondi à des sommets - signe de la méfiance des marchés envers les trois éclopés européens.

La crise financière outre-Atlantique, qui semblait en voie de se résorber après les milliards allongés par l'Europe pour soigner ses membres mal en point, est donc loin d'être terminée.

Au contraire, «la probabilité de restructuration de la dette est d'environ 40% pour le Portugal, d'environ 50% pour l'Irlande et 60% pour la Grèce», affirme Ciaran O'Hagan, stratégiste à la Société Générale, dans une note financière.

Qui plus est, deux gestionnaires du géant américain Pimco - qui gère le plus important portefeuille d'obligations du monde - jugent désormais «probable» une restructuration des dettes portugaise, irlandaise et grecque.

Pourtant, on dira que la Grèce a obtenu l'an dernier une aide de 110 milliards d'euros (environ 150 milliardsCAN) pour sortir la tête de l'eau. L'Irlande a aussi reçu des milliards de ses voisins européens. Et le Portugal négocie actuellement un soutien de 80 milliards d'euros afin de respecter ses engagements financiers plus pressants.

Mais, faut-il le rappeler, ces sauvetages sont assortis de conditions qui imposent des compressions budgétaires sévères aux États secourus: hausses des impôts et des taxes, réduction de l'aide sociale, baisse des subventions publiques et des salaires des fonctionnaires... tout y passe.

Bons vendeurs, des politiciens européens ont comparé ces coupes brutales à «une cure de santé» visant à renforcer les maillons faibles du Vieux Continent. Or, on se rend compte aujourd'hui que la bouée de sauvetage européenne est truffée de plomb. Les pays qu'on prétend secourir sont en train de couler.

Tragédie grecque

Le cas de la Grèce est particulièrement décourageant à la lumière de certains paramètres récents:

- alors qu'on prévoyait l'an dernier une contraction de l'économie de -4% en 2010 et de -2,5% en 2011, en tenant compte du plan d'austérité, les économistes misent dorénavant sur des reculs de -4,5% et de -3,2% respectivement pour ces deux années;

- le taux de chômage, déjà élevé à 9% au milieu de 2009, a grimpé à 14,2% à la fin 2010 et atteindrait 15,5% cette année, selon le gouvernement;

- les rentrées fiscales ne sont pas au rendez-vous. Le déficit public attendrait 10,6% du PIB cette année, au lieu des 8,1% prévus. Prisonnière d'un cercle vicieux, la Grèce a donc annoncé, vendredi, une braderie gênante de plusieurs de ses sociétés d'État;

- et tout le monde en Grèce souffre. Par exemple, les chauffeurs de taxi d'Athènes rapportent que leurs recettes ont chuté de 40% en un an.

La chute irlandaise

Quant au paysage économique de la verdoyante Irlande, il est davantage teinté de rouge ces temps-ci.

La consommation des ménages est en baisse de 14% par rapport au niveau de 2008. Le chômage atteignait 14,7% le mois dernier contre 4,4% quatre ans plus tôt. Et les prix de l'immobilier commercial ont plongé de 60% depuis leur sommet de 2007, selon Bloomberg.

Étranglée par un plan d'austérité très dur, l'Irlande va à ce point mal que les détaillants en sont rendus, ces jours-ci, à implorer le gouvernement d'obliger les propriétaires à déchirer les baux et à abaisser les loyers.

Sans oublier que Dublin vient d'accorder une rallonge de 24 milliards d'euros pour renflouer ses banques toujours malades.

En somme, les marchés doivent se préparer au pire, préviennent les experts. Trois agences de notation - Standard&Poor's, Moody's et Fitch - brandissent d'ailleurs la menace d'une restructuration chaque fois qu'elles abaissent la note souveraine des trois cancres européens. Le dernier à écoper a été l'Irlande, vendredi.

On a beau parler de reprise en Europe, mais celle-ci profite surtout à l'Allemagne. Les pays plus pauvres, eux, ne voient pas la fin de leurs malheurs.

Dans la langue grecque ancienne, le mot «crise» signifie une période intense - mais courte - de tourments. Dans la Grèce moderne cependant, comme en Irlande et au Portugal, la crise va être longue.